Dès son premier roman, « Bianca » (Julliard, 2016), Loulou Robert a fait entendre une singularité qui depuis lors ne s’est pas démentie. « Déshumaine », son cinquième livre (Gallimard) en apporte la confirmation à la fois sidérante et superbe

C’est une femme encore jeune, la trentaine, qui parle ou plutôt lance un strident cri de douleur et de révolte. Elle se présente comme une romancière tôt reconnue mais désormais incapable de rien publier, apparemment requise par d’autres urgences. Alors même que son mari, également écrivain, enchaîne les livres. Il vient de terminer son dixième roman. Ce qui certainement ne contribue pas peu au mal-être de celle qui raconte. Dès l’entame celle-ci se dépeint dans sa cuisine, un couteau à la main, coupant des courgettes « en deux dans le sens de la longueur, puis en tronçons de six centimètres », tandis que son mari imperturbablement tape sur les touches de son clavier dans le salon. Par la suite il sera beaucoup question chez elle de couteaux, comme de son irrépressible maniaquerie et du compagnon uniquement occupé à son activité littéraire. Le ton général du roman est donné. Une manière de répétition qui bientôt tournera à l’obsession puis à la fixation mortifère, dont la langue violente et crue ne cessera de témoigner. Façon de dire une folie profondément ancrée. « Ne plus écrire, c’est tout garder », observe la narratrice. Dans son cas, c’est vivre avec ses démons jusqu’au délire, la psy qu’elle consulte n’y peut pas grand-chose. On plonge ici dans le bouillonnement des profondeurs intimes en même temps que dans les tourments d’un amour qui confine au sacrifice.
La violence lui tient lieu de boussole et de grille de lecture
Il y a encore un an le couple vivait à Paris. Il se retrouve aujourd’hui dans une ville des bords de Loire à deux cent trente-six kilomètres de la capitale, une heure de TGV. Le quotidien de la narratrice se réduit à peu de choses. La sortie matinale aux halles, la préparation des repas, les bains, les promenades avec sa chienne Penny, les prises de Lexomil. Tandis que ses pensées sont tout occupées, à parts égales, par son mari et par l’univers animalier dont elle s’est entourée en guise de compagnonnage. Auquel est venu s’ajouter celui qu’elle désigne comme le « monstre » ou encore le « bébé-loup » : le fœtus depuis peu apparu dans son utérus. Si elle vit l’amour comme un sacrifice, elle ressent la maternité comme une prédation. La violence lui tient lieu de boussole et de grille de lecture. La chienne qui un jour avait serré Penny de trop près en avait fait la douloureuse expérience : elle l’avait rouée de coups sous les yeux horrifiés du maître qui avait dû s’interposer. Une voisine et cinq autres personnes avaient ensuite eu moins de chance. Le couteau de cuisine avait trouvé un usage moins innocent hors du logis familial. Loulou Robert brosse ici le saisissant tableau d’une folie, telle une immersion de plus en plus profonde dans le glauque et le gore.
Elle dit très explicitement comment la pulsion créatrice du travail d’écriture s’est effacée chez elle au profit d’une irrépressible pulsion de mort