Dans son dernier livre « La Nuit sur commande » (Editions Stock) Christine Angot non seulement revient sur ce qui a constitué l’ébranlement fondamental de sa vie, l’inceste dont son père fut l’auteur à deux époques de sa vie, mais évoque la multiplicité des répliques qu’elle n’a plus jamais cessé d’endurer, telle une oppressante grille de lecture. Tout ce qui se dit dans ses livres vient ici converger, comme ramassé en un superbe geste émancipateur

Au départ il y a donc cette commande pour la collection « Ma nuit au musée. » Produire un texte d’ambition littéraire à partir d’un enfermement volontaire dans un haut lieu de conservation de l’art. Il y eut déjà Kamel Daoud, Lydie Salvayre, Leila Slimani, Zoé Valdès, Eric Chevillard, Lola Lafon, Yannick Haenel…en tout vingt-et-une contributions s’inscrivant pleinement dans le cahier des charges initial. Aujourd’hui arrive donc ce vingt-deuxième texte, dont on sait dès l’entame qu’il va sortir du cadre : un long prologue autobiographique annonce la couleur. Engagé par l’incipit « J’ai grandi dans une petite ville, Châteauroux, où la fréquentation de l’art se résumait à la visite du musée municipal. » Il est ensuite question de la mère, du père et de l’inceste, du mari Claude et de leur fille Eléonore, de la psychanalyse, des études et des emplois, du désir d’écriture et de la force du doute avant les premières publications. Christine Angot entame donc sa propre « nuit au musée » par un long flash-back, dans lequel resurgit tout ce qu’au fil des lectures l’on a reçu d’informations sur sa trajectoire. Une façon d’objectiver et de remettre en ordre ce qui s’était d’abord présenté de façon parcellaire sous la poussée de l’urgence subjective. D’emblée l’autrice situe son itinéraire dans le plus vaste cadre d’une dimension sociale. Ce qu’elle eut d’abord à connaître de l’art ce furent en effet des portraits du général Bertrand, qui avait fondé le musée de Châteauroux, de George Sand « habillée en homme, les cheveux en bandeau, fumant la pipe », quand avec sa mère elle visitait la proche maison de Nohant, ou encore, plus tard à Reims, la statue de l’Ange au Sourire et la collection des Corot au musée municipal. Une façon de parcours typique de découverte et d’appropriation de l’art quand on vit une infériorité sociale, qu’on n’appartient pas aux milieux privilégiés des grandes métropoles, avec leur entre-soi.
C’est sur son propre parcours et sur l’ambiguïté de sa position que l’autrice fonde l’écriture de son livre
Pour sa « Nuit au musée » Christine Angot n’a pas choisi le Louvre ou Orsay, visités par des foules bigarrées venant admirer des œuvres socialement reconnues, en quelque sorte estampillées et légitimées, mais un haut lieu du mercantilisme détourné en vitrine de la pointe avancée de l’art contemporain : la Bourse de Commerce de François Pinault. Pour elle « la Bourse de Commerce, c’est l’argent, les échanges, la sociabilité qui en résulte, mais aussi la timidité qu’on peut avoir devant tout ça parce que ça représente la classe sociale qui exerce le pouvoir, et qui fascine. » L’intention ne pouvait être plus claire : c’est sur son propre parcours et sur l’ambiguïté de sa position que l’autrice fonde l’écriture de son livre. Le succès et la polémique aidant, elle avait en effet eu accès à ces cercles composés à parts grandement inégales de vrais connaisseurs et de mondains, ce que nos voisins allemands désignent si pertinemment comme la Schikeria, qui font l’opinion en matière d’art et d’idées. Les pages qu’elle consacre à la plasticienne Sophie Calle et à son entourage, qui a fait de moments de sa vie le sujet de sa pratique artistique et qui s’était instituée en mentor de l’écrivaine, relèvent d’une critique sociale acérée. Pendant quelques années Christine Angot fut invités aux vernissages, aux dîners de la FIAC, aux visites privées dans les musées le jour de la fermeture. Elle évoque aussi, tout ici se tient, la pétition en faveur de la « liberté de se prostituer » qu’elle crut de son devoir de signer, mais dont elle a « honte encore aujourd’hui » : comment ne pas suivre alors dans cette voie douteuse celles qui lui en imposaient et s’appelaient Catherine Robbe-Grillet, Marcela Iacub ou encore Catherine Millet ?
Plus qu’une compagnie rassurante pour elle, une manière de légitimation de sa présence dans ce lieu de la distinction