Georges-Arthur Goldschmidt, écrivain, traducteur dans les deux sens de l’allemand et du français, enseignant – on l’a connu dans les années 1970 au lycée Paul-Eluard de Saint-Denis – est aujourd’hui âgé de 97 ans. Né près de Hambourg en 1928, second fils d’une famille juive dont les ancêtres au XIXème siècle s’étaient convertis au protestantisme, il n’en dut pas moins quitter l’Allemagne et entamer un exil dont les douleurs ne se sont aucunement atténuées au fil du temps. Deux courts récits qu’il a fait paraître cet hiver, « L’après-exil » et « Le chemin barré »,en apportent le témoignage intact


Tandis que « L’après-exil », paru une première fois en 2020 et augmenté pour la présente édition d’une postface intitulée « La langue d’après », se présente comme résolument autobiographique, « Le chemin barré » s’affiche pour sa part comme un « roman du frère » Erich, de deux ans son aîné. C’est que les chemins de celui-ci et de Jürgen-Arthur, qui francisera ultérieurement son prénom en Georges-Arthur, avaient tôt pris des directions différentes. Au propre comme au figuré. Le mercredi 18 mai 1938, jour de la Saint-Eric, à la gare centrale de Hambourg, leurs parents les avaient fait monter dans un train à destination de Munich. Des persécutions en effet pointaient à l’horizon, dont en dépit de l’ancienne conversion de la famille au luthéranisme ils avaient pu déjà éprouver les prémices : six mois plus tard, le 9 novembre, les hordes nazies se livreraient aux exactions de la Nuit de cristal. A Munich, Eric et Jürgen-Arthur avaient pris la direction du col du Brenner, passage frontalier entre l’Autriche annexée au Reich un mois auparavant et l’Italie, où Mussolini n’avait pas encore fait promulguer ses lois antijuives. Ils avaient gagné la Toscane. A Florence une famille amie allait se charger d’eux. Mais le 17 novembre l’Italie adoptait les lois antisémites du régime hitlérien. En mars 1939 les deux frères montèrent dans un autre train, cette fois à destination de la France. Ils furent accueillis dans un pensionnat au-dessus de Chambéry. Tout cela a déjà été évoqué, par bribes ou allusions, dans d’autres livres de Georges-Arthur Goldschmidt, mais se trouve désormais restitué dans sa continuité. De la même façon que ce que l’on pourrait désigner comme ses propres passages linguistiques dont il donne le plaisant raccourci de l’expérience initiale : « Première langue d’exil : l’italien. L’italien sonnait très différemment de l’allemand, cette langue intermédiaire se trouvait à mi-chemin entre l’allemand sonore et le français flexible qui était une langue courtoise pour gens distingués. » Il aurait ensuite l’occasion de préciser son propos.
Il garde un œil sur une Allemagne qui ne cesse de le constituer, alors même qu’il habite de plus en plus intimement la langue française
Ce qui suit relève tout à la fois du récit au plus près des événements, souvent anxiogènes mais aussi parfois plus troubles, par exemple lors des séances de fessées reçues de la directrice du pensionnat, et de la réflexion sur la permanence de la sensation d’exil. Qui pour le lecteur entre en résonance avec le titre de l’anthologie poétique du Turc Nazim Hikmet parue en 1957, « C’est un dur métier que l’exil. » Dans son texte Georges-Arthur Goldschmidt raconte en effet les affres de la clandestinité, la permanence de la peur jusque dans le lieu haut perché qui accueille des deux frères. En même temps qu’il garde un œil sur une Allemagne qui ne cesse de le constituer, alors même qu’il habite de plus en plus intimement la langue française, qualifiée par lui de « nouvelle langue maternelle » et apparue au côté de l’ancienne avec son « ombre noire. » Des pages superbes s’attachent ainsi à cerner, non pas ce qui le partage, la cause est entendue, le français à l’opposé de l’allemand est pour lui « plus attentif aux hommes qu’aux choses », mais ce qu’il n’a cessé de vivre au fil des années comme un véritable dédoublement linguistique.
Une honte doublée de la conscience d’un enracinement resté profond dans une culture, dont la langue avait été polluée par les nazis