TERRITOIRES ROMANESQUES 2023

Simon Parcot


SUR LA BONNE PENTE

Alliage réussi de récit d’aventure alpine et de réalisme magique, ce premier roman se présente comme l’un des plus prometteurs de la rentrée d’automne

Parmi les premiers romans récemment parus, celui-ci mérite assurément qu’on s’y attarde. Par sa tonalité singulière, à la croisée de plusieurs sources d’inspiration, par sa poésie, son impressionnante maîtrise d’écriture et la profusion de sens qui en résulte. Publié par une maison d’édition marseillaise tournée vers l’histoire de la musique « sans distinction de genre ou d’époque » et vers des textes francophones « sensibles au lien qui unit l’homme à la nature », il illustre à merveille la capacité de découverte de structures petites et moyennes, à l’écart des mastodontes qui se partagent la plus grosse part du marché. Installé dans une vallée de l’Oisans, après avoir parcouru les chemins de Compostelle, suivi l’itinéraire de Stevenson dans les Cévennes et s’être aventuré dans l’Himalaya, son auteur propose aujourd’hui un texte surprenant, sans guère d’équivalent dans le paysage romanesque, dont le titre annonce d’entrée de jeu l’originalité de l’inspiration.

Emporté dans les vertiges d’une écriture

Précédée par une citation en épigraphe de Friedrich Nietzsche, lui-même familier des vertigineux paysages de l’Engadine, « qui sait respirer l’air de mes écrits sait que c’est un air des hauteurs, un air vigoureux », l’insolite fiction se présente d’abord sous la forme d’un conte, à moins qu’il ne s’agisse d’une parabole, « Notre histoire commence dans un nuage, bien au-delà de la Terre, bien au-delà des montagnes ». Pour tout de suite après paraître virer au récit d’aventure alpine, traditionnel façon Roger Frison-Roche ou nouveau genre tel le manga « Le Sommet des Dieux » : « Foutue neige ! » grogne Gaspard en passant ses moufles sur son visage rougi pour en ôter les flocons. Malgré ses skis habillés de peaux de phoque, il s’enfonce dans une poudreuse abondante ». D’entrée de jeu, Simon Parcot désigne ainsi les deux pôles entre lesquels le récit de la matérialité hostile des hauteurs alpestres et de l’immédiate proximité d’un au-delà évanescent en même temps sinue.  Fondé sur la connaissance intime de l’Alpe, comme sur l’imaginaire, les légendes et les peurs. Dans ce cadre original se déroule l’aventure d’une cordée au plus fort d’une tempête de neige et d’une avalanche, dans une ambiance d’Apocalypse. Une femme et trois hommes à l’approche du Bord du monde, montagne mythique dépassant de loin les plus hauts massifs terrestres, dont aucun regard humain n’eut jamais l’acuité suffisante pour en apercevoir un jour le lointain sommet.  

La possible première pierre d’une œuvre

C’est à partir du Reculoir, dernier hameau et ultime repère connu avant l’entrée dans la zone inexplorée, que s’amorce ce qui se trouve ici désigné comme la grande Ascension. A la confluence de l’aventure alpestre, de la légende et de la parabole. En même temps progression sur la paroi, dans la plus pure tradition des récits d’alpinisme, questionnement sur le sens de cette ascension et désir d’approcher un territoire légendaire et redoutable qui se refuse aux vivants. En proximité probable avec la mort. Cette altitude extrême vers laquelle Gaspard, le premier de cordée, a résolu de tendre une nouvelle fois son effort, après six tentatives, provoquant l’inquiétude de ses compagnons. Une sorte d’expérience himalayenne rendue plus effrayante par la totale ignorance du terrain derrière l’opacité du brouillard et des nuages. Bientôt Gaspard atteindra cette région, véritable lieu de passage vers un au-delà qu’on peut imaginer sous de multiples aspects. Tandis que le grimpeur qui le suit, le jeune Solal, soudain se trouve empêché dans sa progression, se heurte physiquement à un mur invisible. Comme si son heure n’était pas venue. Ou comme s’il ne lui était pas encore donné d’accéder à un stade supérieur de l’expérience et de la connaissance humaines.

Conte, parabole, récit d’aventure, mais aussi roman d’initiation et reviviscence d’un réalisme magique peu exploré par la littérature française, le livre de Simon Parcot séduit par son captivant premier plan, l’équipée de la cordée, comme par la richesse de ses arrière-plans. Et finalement, donnant à l’écriture sa coloration singulière, par ses dialogues de haute volée et sa formidable dimension poétique, qui identifient le texte comme un authentique travail de création littéraire. Plus qu’une réussite ponctuelle, la possible première pierre d’une œuvre. 

« LE BORD DU MONDE EST VERTICAL », LE MOT ET LE RESTE, 160 PAGES, 17 €.
22/09/2022 – 1628 – W10