Marieke Lukas Rijneveld
A coup sûr l’un des textes les plus saisissants de l’automne. Le récit d’une déviance et d’une emprise dans une ferme à bovins des Pays-Bas. Un terrifiant chef-d’oeuvre. A lire également « Qui sème le vent » (voir chronique du 12/11/2020)
Il y avait eu, en 2018, « Qui sème le vent », publié deux ans plus tard en français chez Buchet-Chastel, dans une superbe traduction de Daniel Cunin. Un roman saisissant, au sens propre du terme. Par l’audace de sa thématique et la tonalité décapante de son écriture. Avec comme lieu unique une très banale ferme néerlandaise derrière un polder, comme personnages centraux le fermier sans relief et sa fille, et comme seule action répétitive au fil des jours le soin apporté au bétail en même temps que la lecture de la Bible, à la fois chambre d’écho et justification de chaque acte de leurs existences. Tout ce qui contribua à la révélation d’une voix authentiquement nouvelle dans la littérature européenne, événement suffisamment rare pour mériter d’être souligné.
« Mon bel animal », paru aux Pays-Bas en 2020, vient aujourd’hui confirmer, dans la traduction une nouvelle fois impeccable de Daniel Cunin, la position de tout premier plan de Marieke Lucas Rijneveld dans le paysage littéraire du continent. Toujours une ferme et ses bovins, toujours un fermier et sa fille. Auxquels vient désormais s’ajouter la figure d’un douteux vétérinaire, qui tient ici le rôle du narrateur, en un long monologue dont on comprend peu à peu la circonstance. Celui-ci s’y adresse, la tutoyant, à une « adorable » également appelée son « bel animal », en une manière de longue confession, ou de supplique, s’étirant sur 42 chapitres. Le flux de sa parole ainsi se déverse, rarement interrompu par des points, tout au plus rythmé par des reprises de souffle que matérialise une pléthore de virgules et points-virgules, sans le moindre retour à la ligne. Cela se passe à l’été 2005, la date figure en ouverture du récit. Quelques pages plus loin il est question de « magistrats » auxquels l’homme doit désormais rendre des comptes. Peu à peu, alors qu’il s’est lancé dans le récit de sa relation particulière avec son « adorable », la situation se précise : c’est d’une cellule d’un établissement pénitentiaire que le narrateur rédige ce qui ressemble de plus en plus à un plaidoyer pour tenter de justifier ce qui s’était passé pendant quatre ans entre lui et la fille du fermier, aujourd’hui âgée de 14 ans. A moins qu’il ne s’agisse aussi d’une nécessaire mise au net pour lui-même.
L’ange et la bête