TERRITOIRES ROMANESQUES 2023

Pascale Robert-Diard


Pascale Robert-Diard

Un récit tellement actuel, sur la difficulté à rester rationnel Face a d’apparentes evidences

Dans l’ombre portée de la vague #MeToo, avec ses avancées et ses excès, voici un livre d’une bienfaisante sobriété que l’auteure a choisi d’inscrire dans le genre romanesque. Sans doute moins parce qu’il va à l’encontre d’un courant dominant prompt à s’emparer sans recul du moindre soupçon de prédation masculine, que parce qu’il s’attache à restituer, loin des effets de tribune, la logique complexe d’une parole adolescente. Si le titre fait invinciblement penser à celui du film de Claude Miller « La petite voleuse », c’est qu’il s’en rapproche par sa délicatesse et sa lucidité. A son tour, dans ce premier roman tout à fait remarquable, Pascale Robert-Diard invite en effet à démêler les subtils ressorts d’une raison intime.

Nathalie Sarraute, citée en épigraphe, pourrait ici faire figure de modèle éclairant

Chroniqueuse judiciaire au « Monde » depuis vingt ans, elle a puisé la matière de son texte dans son vécu à l’intérieur des prétoires, avec ce qui s’y joue en même temps de théâtralité et de vérité humaine. Son personnage principal Alice Keridreux, la cinquantaine, avocate dans une ville du littoral atlantique, lui emprunte manifestement beaucoup. A commencer par son style, précis, concis, factuel, plus proche de l’économie de langage de l’article de presse que des efflorescences verbales d’une plaidoirie. Nathalie Sarraute, citée en épigraphe, pourrait ici faire figure de modèle éclairant. Même si l’avocate se permet une petite entorse, de nature très romanesque, en ayant pris l’habitude de donner des surnoms aux jurés. Peut-être un antidote, alors que « depuis quelque temps, la dose quotidienne de noirceur qu’elle se prenait dans la figure lui semblait plus difficile à supporter ». Car il est clair qu’elle  aspire de plus en plus à s’évader et respirer un air plus pur sur une île qu’elle affectionne. Jusqu’au soir où une jeune femme entre dans son bureau.

Celle-ci s’appelle Lisa Charvet, elle a tout juste vingt ans. Cinq ans auparavant, alors élève de troisième, elle avait été victime d’un viol. Son agresseur, un plâtrier de trente-deux ans, Marco Lange, avait écopé d’une peine de dix ans de prison. L’affaire avait fait grand bruit. Tout le collège, professeurs en tête, s’était mobilisé autour de Lisa : Lange, venu faire des travaux au domicile des Charvet, en avait profité pour abuser de la jeune fille. L’affaire se présentait comme dramatiquement simple. C’est d’ailleurs ce qui ressort du dossier que Lisa a déposé sur le bureau d’Alice. Lange, qui n’a cessé de clamer son innocence, a pourtant fait appel. Et un deuxième procès, contre toute attente, va bientôt avoir lieu. Forcément douloureux pour Lisa, qui va devoir revivre cette période. Et qui demande à l’avocate, pénaliste de bonne réputation, d’assurer désormais sa défense. C’est du moins ainsi qu’Alice interprète sa démarche.

Passer du statut de réprouvée à celui de victime

Sauf qu’une tout autre réalité se donne bientôt à entendre. Le secret qu’une adolescente emportée dans un tourbillon qui la dépassait, avait caché cinq ans durant. Ou comment, acculée dans une impasse, la jeune fille avait cru pouvoir s’en sortir par le mensonge. Physiquement très mûre, il lui avait en effet fallu supporter regards et remarques, puis se prêter à des situations douteuses, pour finalement apparaître comme  « la petite salope du collège ». Inventer un viol la faisait passer du statut de réprouvée à celui de victime et lui procurait une manière d’immunité. C’était aussi une façon pour elle, en plein courant #MeToo, de conforter à bon compte dans leurs certitudes la quasi-totalité des professeurs, convaincus par principe de la véracité de toute accusation contre un homme. Elle y gagnait sur tous les tableaux. C’était compter sans le lent travail de sa conscience face au déni de justice qui s’en était suivi. Pascale Robert-Diard, à contre-courant de l’idéologie aujourd’hui dominante de sacralisation de la parole des femmes, démonte avec une finesse rare les rouages de cet engrenage du mensonge. De la même façon qu’elle dépeint la jeune fille en victime paradoxale de toutes les bonnes intentions.

La figure jamais nommée qui tient pourtant une position centrale dans le récit, c’est le doute, qui ouvre à toutes les interrogations. Sans lequel la justice ne peut se concevoir, par-delà les apparences et les trop tentantes évidences. Une prise de recul bienvenue, véritable appel à une réflexion dégagée de la pression des idéologies du moment, qui fait de cette « Petite menteuse » un livre marquant de l’automne.

« La petite menteuse », de Pascale Robert-Diard, L’Iconoclaste, 234 pages, 20 €
17/11/2022 – 1633 – W15