Pauline Peyrade
Dans un premier roman au tranchant de lame de couteau se donne à voir ce que peut avoir de destructeur un amour maternel constituant le tout d’une vie
Après la publication à la rentrée d’automne du très remarqué « En salle » de Claire Baglin, les Editions de Minuit affichent une nouvelle fois leur vocation de découverte avec un texte à la froideur et au tranchant de lame de couteau. Certes l’auteure, née en 1986, n’est pas une novice, avec déjà quatre pièces de théâtre jouées, traduites en sept langues et « trois contes noirs » réunis dans le volume « Portrait d’une sirène » (Les Solitaires Intempestifs, 2019), représentations d’autant de figures de femmes aux prises avec les vieilles assignations. « L’Âge de détruire » se présente aujourd’hui comme une toute première incursion sur le territoire de l’écriture romanesque. Mais lesté d’une possible charge autobiographique, avec cette narratrice prénommée Elsa âgée de sept ans en 1993, exactement comme Pauline Peyrade. Une citation du « Journal d’un écrivain » de Virginia Woolf, placée en épigraphe, donne le ton du propos : « L’âge de comprendre : l’âge de détruire… Et ainsi de suite. » Autrement dit la nécessité, de tout temps, de se défaire d’une proximité et de liens, maternels en l’espèce, qui attachent et finalement entravent. Subis et tolérés, au mieux timidement repoussés, dans un premier temps. Récusés et explicitement rejetés, y compris par la violence, dans un second. Ce que l’auteure désigne comme « Âge un » et « Âge deux », les parties constitutives de son livre correspondant à deux périodes d’une vie de femme.
Une relation mère-fille complexe, mais fondamentalement toxique
Tout au long de ces 160 pages, il n’est guère question que d’une mère autocentrée et dominatrice, sans relation avec autrui, « ni amies ni amoureux », et de sa fille longtemps soumise. Mais qui en dehors de leur cercle intime dans ses attitudes semblait beaucoup ressembler à sa génitrice. Leur environnement se présente comme exclusivement féminin. La mère n’avait déjà eu comme référence unique que sa propre génitrice, son univers s’étant toujours limité à elles deux. De réguliers épisodes de violence le caractérisaient, qui s’annonçaient quand la plus vieille retirait ses bagues avant de frapper la plus jeune. Beaucoup plus tard, quand la première, épuisée, s’était rapprochée du terme de son existence, la seconde n’avait pas hésité un seul instant à l’étouffer sous un oreiller. Mettant fin à leur duo dans un geste qui tenait autant de l’euthanasie que de la revanche libératrice. Mère et fille de l’une et l’autre génération forment une manière de mini-gynécée, n’entretenant que le minimum de relations nécessaires avec le monde extérieur. Et il n’est pas certainement pas indifférent que le chapitre premier du roman de Pauline Peyrade soit consacré à la visite que toutes deux font de l’appartement que la mère s’apprête à acheter. En fait, sa première acquisition immobilière. La narratrice froidement constate : « Ma mère n’a jamais fait faire de devis de sa vie. Depuis qu’elle a quitté la maison de son enfance, elle a occupé ses différents logements sans s’en sentir responsable, de passage, les mains vides. » Difficile de dessiner portrait plus desséchant d’une indifférence. Les lignes qui suivent n’apparaissent pas moins accusatrices : la mère sanglée dans son tailleur, sa légère transpiration, ses bijoux (chacun « a une origine et une signification précises. Elle n’en change et ne s’en sépare jamais »), la cigarette qu’elle fume puis écrase sur le rebord de la fenêtre, le chewing-gum qu’elle mâche ensuite et la « bulle verte qui gonfle entre ses lèvres et éclate avec un bruit sec. » Un exorde aux allures de procès-verbal des signes accumulés d’un mal-être.
Une violence qui court tout du long de ce texte âpre et rugueux, sans la moindre reprise de souffle