Philippe Lafitte
Le romancier, qui s’inscrit parmi les figures de proue du nouveau réalisme critique, a choisi cette fois comme lieu d’une captivante fiction un bidonville de Roms installé en lisière d’une autoroute de la région parisienne
Si l’auteur de romans fortement ancrés dans les zones de fractures du réel contemporain, « Un monde parfait » (2005), « Etranger au paradis » (2006), « Vies d’Andy » (2010), « Belleville Shanghai Express » (2015) ou encore « Celle qui s’enfuyait » (2018), a trouvé un terrain à sa mesure dans les procédures d’écriture du roman noir, il y fait cependant toujours évoluer quelque figure portée par un rêve de liberté et d’émancipation. Pour s’en tenir à l’exemple peut-être le plus emblématique, les personnages de Vincent Chêne et Line Li dans « Belleville Shanghai Express » : un garçon d’origine franco-vietnamienne et une fille d’origine chinoise aux allures de Roméo et Juliette du XXIe siècle, tels les visages d’un romantisme revisité au cœur d’un monde de violence et de cynisme. Huit ans plus tard on rencontre leurs semblables dans « Périphéries. » Ils s’appellent Virgile, Yasmine, Léna et vivent pareillement dans des situations d’exclusion.
Ils aspirent, chacun à sa façon, à s’arracher aux vieux déterminismes qui gouvernent leurs destinées
A peine vingt ans et déjà « fumant de vapeur, d’énergie et de rage »,Virgile est un sans-papiers arrivé de Roumanie depuis dix-huit mois. Avec une quarantaine de compatriotes appartenant comme lui au clan rom des Monescu, il vivote de combines diverses sur un terrain vague en contrebas d’un pont autoroutier à Gennevilliers. Il a laissé dans son pays son amie Léna. Gravement diabétique, celle-ci vit chez ses parents dans un quartier vétuste, « reliquat des constructions soviétiques de la fin du régime de Ceausescu », sur les hauteurs déshéritées de Buzescu. Avec son alignement de « palais » kitsch de chaque côté de son unique rue, la bourgade est surnommée « le Disneyland des Roms. » Depuis son arrivée en France l’athlétique Virgile fréquente une salle de musculation, le hangar délabré d’une ancienne boucherie industrielle. Un jour il y a croisé le regard de Yasmine, qui tient la caisse, elle aussi en situation d’exclusion. Car contrainte par son frère Nuri, caïd et dealer local, à quitter l’université et porter le voile. Elle partage désormais sa vie entre la salle et le logement familial dans une cité HLM où elle habite depuis sa naissance. L’enfermement pour elle se présente sous de multiples aspects. Dans « Périphéries » tous les ingrédients d’un récit misérabiliste semblent ainsi réunis. Sauf que Virgile, Léna et Yasmine aspirent, chacun à sa façon, à s’arracher aux vieux déterminismes qui gouvernent leurs destinées.
Le roman noir façon Philippe Lafitte s’inscrit contre la noirceur d’un monde ou d’une vision