L’écrivain quadragénaire avait reçu en 2020 le prix Albert Londres pour « Alpinistes de Staline », qui restituait formidablement le climat et les objectifs des expéditions soviétiques pendant les années 1930. Avec leurs étoiles, les frères Vitali et Evgueni Abalakov, qui non seulement réalisèrent de nombreuses premières dans le Pamir, mais effectuèrent les relevés topographiques d’un massif encore vierge sur les cartes. Une véritable épopée, motif de fierté au même titre que la conquête spatiale trois décennies plus tard, dont Cédric Gras révélait au fil d’un bouleversant récit la face tragiquement obscure
Il récidive donc aujourd’hui avec ces « Alpinistes de Mao », non moins émouvant, mais peut-être plus glaçant encore. Si l’alpinisme en URSS avait une histoire, il n’en était rien en Chine. Dans l’Empire du milieu on s’élevait en effet par la méditation et la spéculation intellectuelle, certainement pas en s’attaquant aux parois vertigineuses des montagnes qui bordaient le pays à l’ouest. Une manière de paradoxe, alors que c’est dans la partie chinoise de l’Himalaya que se dresse la majorité des sommets de plus de 8000m de la planète. Mais l’alpinisme était avant tout une affaire d’Occidentaux, Anglais, Français, Autrichiens, Italiens… En 1950, Maurice Herzog et Louis Lachenal se hissaient au sommet de l’Annapurna, à 8091m d’altitude, par l’infernale face sud. Pour la première fois, des êtres humains passaient la barre symbolique des 8000m. « Annapurna, premier 8000 », le récit de Maurice Herzog publié l’année suivante, se vendit dans le monde à plus de vingt millions d’exemplaires. L’exploit des grimpeurs participait au prestige du pays. L’image de Maurice Herzog brandissant le drapeau tricolore attaché à son piolet reste fixée à jamais dans les mémoires. L’ascension des plus hauts sommets était devenue une affaire d’état. La Chine et le nouveau pouvoir communiste en place depuis 1949 ne pouvaient rester plus longtemps en dehors du jeu.
Il était alors tout autant question d’orgueil national que d’affirmation territoriale
Après l’Annapurna, neufs sommets de plus de 8000m restaient donc à gravir, à commencer par le plus élevé d’entre eux, l’Everest, à 8848m. Les Anglais s’en chargèrent en 1953, après une première tentative de Mallory et Irvine en 1924, au cours de laquelle tous deux périrent, sans qu’on puisse jamais savoir s’il avaient atteint le sommet. Pour les Chinois c’en était trop : « C’est notre montagne, nous devons la conquérir », décréta la direction du parti. Il était alors tout autant question d’orgueil national que d’affirmation territoriale, L’Everest se dresse à la frontière du Népal et du Tibet, que la Chine venait d’annexer : « la conquête des éminences himalayennes fut une affaire de prestige pour les puissances occidentales, elle était un enjeu territorial pour la Chine », analyse Cédric Gras, qui restitue ici de remarquable façon ce qu’on peut considérer comme les prémices de l’alpinisme chinois, notamment autour de ses deux grandes figures historiques, Xu Jing et Liu Lianman. Leurs destinées se présentent en effet comme un concentré de l’histoire de la République populaire, de ses singularités et de ses turbulences. Car il faut savoir que ni l’un ni l’autre n’avaient jamais manifesté le moindre intérêt pour l’alpinisme. Jusqu’à ce que les autorités de Pékin les désignent pour la riposte : pour effectuer la prestigieuse ascension à venir, il fallait des camarades exemplaires par leur fidélité et leur dévouement. Peu importait qu’ils n’eussent auparavant jamais vu de montagnes, il leur appartiendrait d’aller planter le drapeau chinois sur le toit du monde et d’y déposer un buste du président Mao.
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