Ne nous y trompons pas : sous l’allure décontractée, parfois même relâchée, de cette écriture, c’est l’effarement devant la mort qui se dessine. Une façon, d’apparence délibérément détachée, de parler de la douleur à l’exacte échelle de l’ébranlement profond éprouvé par celle qui écrit. En 2016 elle avait fait paraître « Koumiko », sur la disparition à elle-même de sa mère, la poétesse japonaise Koumiko Muraoka, née à Harbin, en Mandchourie, en 1936. Pour mémoire, en 1965 Chris Marker , voyageant au Japon, avait consacré à celle-ci, incarnation du désir de liberté radicale et du refus de la convention, un court film, « Le Mystère Koumiko. » Un demi-siècle plus tard, son esprit rebelle et singulier s’était donc absenté. Sa fille avait assisté à ce déboussolement, qui s’était d’abord manifesté par la perte des gestes du quotidien. Elle était morte peu de temps après, en 2018 à l’hôpital Bichat.
Anna Dubosc avait à l’époque consigné dans un carnet ce qui apparaît aujourd’hui comme les étapes d’un lent naufrage. « Plus vivant que la vie » s’en présente en partie comme la retranscription. A commencer par la restitution systématique de la parole de la mère, depuis une apparente normalité jusqu’aux dérives les plus inattendues, dans les « phrases insensées » qu’elle s’était mise à prononcer. En guise de rempart contre l’oubli (« J’imagine le monde soudain vide d’elle. Non, impossible »). Peut-être aussi pour soi-même se tenir en alerte. Mais l’urgence fut d’abord de garder un œil sur la mère devenue démente sans que celle-ci y discerne une contrainte attentatoire à sa chère liberté. Un exercice compliqué, puisque dans le même temps cette femme, qui avait été si sourcilleuse sur le chapitre de son indépendance, ne supportait désormais plus d’être seule. Anna Dubosc s’attache à tous les détails qui fondent la singularité d’une vie. Ceux-là mêmes qu’auparavant elle jugeait si peu dignes d’intérêt et dont elle s’apprête désormais à devenir la conservatrice. A commencer par le plus impalpable d’un être, l’odeur qui imprègne ses objets et son lieu de vie, et qui quelque temps après l’incinération de Koumiko soudain surgira d’une banale liasse de papiers. Par-delà son âpreté, l’approche lucide du lien complexe mère-fille, toujours sur le fil de la rupture et du rejet, le livre d’Anna Dubosc apparaît ainsi semé d’instants d’une grâce bouleversante.
Plus qu’à une méditation sur la vie et la mort, c’est au constat d’une manière d’absurdité, la juxtaposition de deux faits sans rapport, mais dans lesquels il advient qu’elle tient un rôle, que la narratrice s’attache prioritairement