Parmi les genres qui ont connu un spectaculaire développement depuis le début du siècle, le manga et la fantasy se présentent comme les plus prolifiques. En témoignent, pour le premier, les 106 tomes de la série « One Piece » publiés depuis 1997. Et pour le second l’extraordinaire audience des textes que Victor Dixen fait paraître depuis 2009, dont les trois premiers de la série « Vampyria » avec la fameuse « Cour des ténèbres » (le Versailles du Roi Soleil), ont déjà été traduits en dix langues. Le phénomène mérite qu’on s’y attache, tant par l’originalité de cet univers fictionnel que par ce que celui-ci propose comme lecture de…notre temps
« Le Tombeau des immortels », à l’instar des précédents volumes de la série, se présente comme une uchronie. L’action s’est maintenant déplacée dans une Amérique qui depuis trois siècles est restée sous domination européenne. Le vieux continent continue en effet de régner sur le Nouveau Monde par l’entremise de ce qui constitue sa moderne aristocratie, les vampires suceurs du sang des populations. Victor Dixen s’inscrit clairement ici dans la grande tradition fantastique du XIXème, de John Polidon à Bram Stoker. A quoi il ajoute son puissant regard critique. Si son Amérique a accédé aux plus hautes technologies, visiblement très en avance sur ce que nous pouvons aujourd’hui connaître, elle n’en est pas moins politiquement restée dans une configuration ancienne. Treize colonies sous domination anglaise la constituent à l’Est, la Nouvelle Espagne occupe la côte ouest et une immense Louisiane française s’étend au cœur du continent. Quant à New York, celle-ci se présente comme le centre névralgique de l’ensemble, jouant à plein son rôle de ville-monde. De la même façon que « La Cour des ténèbres » en 2020 restituait dans une ambiance fantastique la face sombre, pour ne pas dire diabolique, de la France de Louis XIV, « Le Tombeau des immortels » propose maintenant la représentation poussée à l’extrême du fond vampirique de notre monde. C’est ainsi que chaque année treize jeunes hommes et femmes choisis par chacune des treize colonies doivent se rendre à New York pour être livrés en sacrifice à des aristocrates vampires de l’Europe : vidés de leur sang, ils deviendront en même temps immortels et privés de sensibilité. Donc exclus de l’humanité. La cérémonie confidentielle, qui se tient dans le plus haut gratte-ciel de Manhattan, le « Necropolis Palace », est traditionnellement suivie d’un grand bal des « débutants. » Victor Dixen ne cesse ainsi de puiser dans des références riches de sens, tel ce renvoi à une autre forme, plus présentable, de vampirisme.
Cet écrivain de culture européenne transpose superbement une certaine tradition du fantastique dans le contexte à la fois rétrograde et futuriste du Nouveau Monde