Le propre des livres importants, c’est qu’il est impossible de les classer. Ainsi « La Foudre », le septième titre d’un auteur qui, depuis 2008 (« Polichinelle ») est publié par les très exigeantes éditions P.O.L. Commençant à la façon d’un thriller, il semble ensuite relever du « nature writing », pour finalement se transmuer en roman psychologique, sentimental et même social. C’est dire son envergure en même temps que sa formidable plasticité
Il y a donc cet incipit, qui paraît inscrire « La Foudre » du côté du noir : « D’abord ce nom, Alexandre Perrin, et un peu plus loin ce geste étrange et criminel, un coup de planche. » Un jeune homme en est mort. L’affaire n’est pas récente, elle remonte à huit mois. Mais Julien dit John, le narrateur, vient de la découvrir en parcourant un vieux numéro du « Progrès », le quotidien de la région lyonnaise dont son oncle lui avait apporté en mai deux cabas pleins, « pour faire démarrer le poêle et la cuisinière durant toute la saison d’alpage. » C’est que John, qui avait étudié l’histoire de l’art avant de devenir berger, un vieux rêve, passe l’été dans un chalet à 1500 mètres d’altitude, seul avec son troupeau de brebis et ses chiens dans les montagnes du Haut Jura. Rapidement paraît affleurer le « nature writing », cette thématique de l’homme seul au milieu des grands espaces et de la nature sauvage. Encore que… Chaque week-end en effet, depuis Bellegarde où elle enseigne l’anglais au lycée, sa compagne Héloïse monte le rejoindre. Avec Pierric Bailly l’on entre dans un univers narratif multiforme, porté par une prose d’apparence spontanée, qui ne cesse en permanence de s’élargir.
Ainsi se présente le riche arrière-texte de « La Foudre »
Alexandre Perrin, John l’avait connu au lycée de Lons-le-Saunier. Un flot de souvenirs lui revient, qui restituent l’atmosphère d’une vie de jeune lycéen dans la rude région : l’internat, les virées du samedi, les voyages scolaires comme un appel d’air, les amitiés et les amourettes. Et qui surtout réveillent en lui sa relation particulière avec Alexandre, cet adolescent sûr de lui qui dans leurs classes successives apparaissait aux yeux de tous comme un véritable leader d’opinion. Pour Julien, beaucoup plus effacé, qui pour sa part ne connaissait que le monde étriqué de sa vallée, un modèle à imiter en tous points, jusque dans ses attitudes et son expression. Car les deux garçons ont des origines diamétralement opposées. Les parents d’Alexandre faisaient partie de ce qu’on appellerait aujourd’hui les élites mondialisées, la famille avait longtemps vécu en Afrique du Sud. Chez Julien, infiniment moins à l’aise, très discret sur son passé, on était issu de l’immigration italienne et l’on était voué à la sédentarité de la vie pastorale. Pierric Bailly laisse imaginer, plus qu’il n’explicite, ce qui pouvait se jouer au plus profond de celui-ci face à Alexandre. Le roman suggère avec une grande subtilité la complexité de leur relation, comme les héritages dont l’un et l’autre sont porteurs. Quand Alexandre avait connu l’ouverture au monde, Julien avait eu pour unique horizon sa vallée et son grand-père Jean, lui-même berger, que tout le monde appelait John. Tel un signe de filiation, son surnom était passé à son petit-fils. Ainsi se présente le riche arrière-texte de « La Foudre. »
La narration de Julien agit comme une fenêtre ouverte sur son flux de conscience