Dans « Appartement 816 » (L’Atalante, 2021) Olivier Bordaçarre mettait en scène un implacable scénario noir à l’heure du confinement. Il récidive aujourd’hui avec « La Disparition d’Hervé Snout », un stupéfiant roman qui glace les sangs. L’hémoglobine, animale et humaine, y coule en effet à gros bouillons. Au centre se tient le patron d’un abattoir d’une petite ville de province, un certain Hervé Snout
C’est peu dire qu’Olivier Bordaçarre s’affirme de livre en livre comme un maître du roman noir. Par son inspiration comme par la singularité de son écriture. « La Disparition d’Hervé Snout » en fournit l’illustration peut-être le plus éclatante. Le roman s’articule en 35 chapitres très précisément situés : cuisine des Snout, abattoir, bureau du patron, bar gendarmerie… Tous horodatés autour du même point d’origine, le mardi 16 avril 2024 à 09h30, date et heure de la dernière apparition du personnage principal, alors qu’à vélo il quittait la maison familiale pour se rendre à son travail. Il y aura l’après, mais aussi l’avant de sa disparition, selon une chronologie savamment élaborée, à la minute près, qui participe à l’intensité dramatique d’une sanglante histoire relevant elle-même du drame social. Avec une multiplicité de personnages en laquelle se retrouve la variété du monde réel. Sur tout cela un narrateur, qu’on imagine en porte-parole de l’auteur, porte un regard clinique et cruel, mais non dénué d’ironie, qui donne au roman sa fascinante tonalité.
La viande aura pour eux une saveur familière
Cela commence, à la façon du théâtre classique, par un prologue chargé de présenter les principaux personnages. En l’espèce les deux que ne mentionne pas le titre, mais dont le rôle s’avèrera finalement déterminant, Gabin Raybert et Gustave Romonde, respectivement 34 et 32 ans. Le premier, fils de Nadine Raybert, mère « de substitution », et de son mari Alain, mécanicien automobile. Le second, enfant fragile maltraité par sa mère et sa grand-mère (« deux furies »), placé depuis 2004 par les services sociaux chez les Raybert. Vingt ans plus tard Gab venait de faire embaucher Gus dans son équipe à l’abattoir. L’action, dont ils seraient les protagonistes en première ligne, allait s’enclencher. Cela commence donc le mardi 16 avril 2024, à 20h04, « Dix heures et tente-quatre minutes après la disparition », précise le narrateur. Ce soir-là Odile Snout, 38 ans, a cuisiné un bœuf bourguignon pour les 45 ans de son époux Hervé. La viande aura pour eux une saveur familière : elle vient de son abattoir. D’entrée de jeu Olivier Bordaçarre introduit dans son récit des éléments destinés à produire un effet retard. Le bourguignon en est un, et certainement pas le moindre. Hervé Snout n’a donc pas réintégré le domicile familial. Il ne le fera pas davantage le lendemain ni les jours qui suivent. En fait plus jamais on le reverra. Il n’a laissé aucune trace. Le vélo a également disparu. Pour les gendarmes chargés de l’enquête toutes les pistes sont envisageables, y compris une disparition volontaire.
Olivier Bordaçarre malaxe magistralement la pâte du réel