Olivier Bordaçarre
Après le confinement, l’arrêt forcé dans la station service d’un centre commercial comme autre métaphore d’une société verrouillée
Si « Appartement 816 », son précédent roman en 2021, se présentait clairement sous la forme d’un thriller dont le confinement constituait l’horizon, « Carte muette » relèverait plutôt du pamphlet, dans sa première partie, et de la comédie philosophique sinon de la farce dans la seconde. Olivier Bordaçarre a en effet conçu son mince volume telle une adresse, aux lecteurs et à soi-même. Une manière d’interpellation pleine de véhémence et d’ironie, avançant une critique radicale du monde tel qu’il va, sous l’emprise du marché et du consumérisme galopant.
Un véritable passage au scanner du monde contemporain
Cela se déroule le temps du passage dans un centre commercial. Depuis l’arrivée, énoncée par la phrase d’ouverture du récit, «Au volant de votre véhicule, incorporé au ballet ininterrompu des autos, vous traversez à faible allure le parking saturé », jusqu’au départ, à l’autre bout, ou presque, du récit, « Vous retraverserez le parking, vous démarrerez votre auto […] vous quitterez la station-service puis le site du centre commercial, et enfin, oui, vous serez dehors. Libre ». Entretemps, en une grosse centaine de pages, c’est à un véritable passage au scanner du monde contemporain, en l’un de ses lieux les plus emblématiques, qu’invite ce texte avec sa couverture inspirée par Andy Warhol. Certainement pas un hasard, quand on connaît le rapport critique de l’artiste américain à la société de consommation. Ce à quoi précisément se réfère la toute dernière phrase, « Qu’allez-vous faire de cette liberté ? ». Question centrale, qui porte sur le sens d’une existence dans l’univers contemporain.
Au long de sa difficultueuse progression sur le parking, de sa déambulation dans le temple du mercantilisme et, last but not least, d’un long arrêt imprévu à la station-service, celui dont il est ici question se livre à une foule d’observations acerbes, qui toutes interrogent des façons actuelles d’être au monde. Et toutes aboutissent à un même constat, la « vie de consommateur est une vie d’obéissance ». Olivier Bordaçarre ainsi multiplie les observations de ce qui constitue le quotidien commun. Jusqu’à l’absurde. Les arrogants 4×4 englués dans la marée automobile (« la station-service possède des vertus égalisatrices »), les quidams qui parlent seuls dans « une petite olive blanche enfilée sur un câble », les produits bio qui ne sont en dernier ressort que des marchandises comme les autres… Et pour finir la fragilité du sésame qui donne accès au paradis de la consommation, la carte bancaire. Inopérante quand soudain elle devient muette. Provoquant une cascade de désagréments et l’intervention finale des vigiles et de la police.
Un fantasme de révolte