TERRITOIRES ROMANESQUES 2023

Catherine Enjolet


Dans « Rousse comme personne », son premier roman (Stock, 1990), l’autrice annonçait ce que serait sa voie d’écriture : la restitution du vécu d’une enfant dans la France des Trente glorieuses. Ou, plus précisément, celle d’une histoire mal engagée. La misère dans un quartier pauvre de Paris, le placement en foyer de la DDASS à la mort du père, puis un beau-père et, à l’âge de sept ans, des avanies dont on ne parlait pas encore… Leur rémanence n’a jamais cessé de l’habiter. On l’aura compris, c’est au plus profond de la matière autobiographique que la littérature de Catherine Enjolet trouve son combustible

Ensuite il y avait eu ces cinq titres si terriblement évocateurs, « Princesse d’ailleurs » (Phébus, 1997), « Mémoires d’enfance » (Phébus, 2008), « Sous silence » (Phébus, 2011), « Face aux ombres » (Phébus, 2014), « Nina » (Lattès 2017), qui continuaient le récit de la destinée de la petite fille d’une rue Mouffetard pas encore investie par les bobos. Devenue femme de conviction et obstinée lutteuse. Et parallèlement à l’écriture littéraire, entre 2000 et 2023, une douzaine d’essais qui venaient apporter sur tout cela l’éclairage d’une réflexion et accompagnaient les étapes successives d’un engagement pour « de nouveaux repères affectifs et éducatifs. » En 2018 Catherine Enjolet créait l’association « Les liens du sens », ONG au service des enfants et des jeunes en déshérence. Avec « Au ciel bleu croire », il est aujourd’hui question des rencontres décisives qui ont jalonné cet itinéraire. Souvent aussi inattendues qu’inespérées. Avec des anonymes comme avec des célébrités. Depuis Boris Cyrulnik, auteur de la chaleureuse préface du livre, jusqu’à sœur Emmanuelle. Avec, en manière de fil rouge, la compagnie attentive de Paul Guimard et Benoîte Groult. Mais l’on voit passer aussi un président de la République, un académicien, une actrice… Une destinée mal engagée a changé de cours. Ce qui se dessinait comme un morceau de littérature populiste a ainsi pris un tournant radical.

Les abîmes qu’elle n’a pendant longtemps cessé de frôler

Dans « Au ciel bleu croire » Catherine Enjolet restitue les étapes de ce qui pourrait d’abord apparaître comme une manière de conte de fée, mais en fait doit tout à une pugnacité et une ouverture aux autres hors du commun. Peut-être aussi à sa capacité à dégager du sens dans le désordre de l’existence. Elle ignore en effet la notion de hasard, préférant parler de « rencontres » et de « rendez-vous. » Son écriture vient ici en miroir de cette disposition d’esprit. De brefs paragraphes, parfois seulement une seule phrase ou même quelques mots. De constants sauts à la ligne, pour dire le mouvement qui ne cesse de l’animer. Une attention et une curiosité de tous les instants à ce qui bouge autour d’elle. Le rythme est soutenu, des formules reviennent en leitmotive, façons de rappels à l’essentiel. L’autrice ne dédaigne ni les interrogatives ni les exclamatives, façons de traduire la vivacité de son engagement et l’énergie mise à promouvoir cette cause. En  manière de réparation de ses propres débuts. S’il est vrai que le film de sa vie, ainsi raconté, peut apparaître a posteriori un peu trop beau, c’est évidemment à proportion des abîmes qu’elle n’a pendant longtemps cessé de frôler. Impossible de n’y pas songer au fil de la lecture et d’ainsi mesurer la portée des bonheurs qu’elle éprouve. Ce que résume le titre du livre, qu’on dirait d’abord frappé de naïveté, si précisément la suite ne venait l’expliciter et le justifier.

Tandis que des vers d’Aragon, les voix de Jean Ferrat et de nombreux autres se font tout du long entendre, en une manière de basse continue qui inscrit le texte dans le vaste champ de la littérature, Catherine Enjolet dévoile un à un les épisodes d’une histoire à peine croyable. La grisaille des débuts, puis une succession d’éclaircies et de coïncidences, donnant tangibilité à son affirmation qu’ « on hérite des histoires plus que des gènes. » Ce qui explique sans doute que, de ce qui aurait pu devenir un roman réaliste, émerge une inattendue poésie.

« Au ciel bleu croire », de Catherine Enjolet, préface de Boris Cyrulnik, Phébus, 256 pages, 21€
23/11/2023 – 1680 – W61