Il y a un an paraissait son dixième livre « L’Enfant dans le taxi», apportant une nouvelle confirmation du talent de Sylvain Prudhomme, déjà consacré par le prix Femina pour « Par les routes » en 2019. Aujourd’hui nous parvient « Coyote », objet littéraire original qui pourrait en dérouter plus d’un, tant il s’écarte des présupposés du « pacte romanesque » : un narrateur certes, mais tenant le récit d’une succession décousue de rencontres

Comment cependant ne pas penser, lisant ce « Coyote », à « Sur la route » de Jack Kerouac (1957) avec sa multiplicité de personnages dessinant le portrait d’une génération ? Sauf que ce qui ici se dessine, c’est l’univers de la peur et de l’exclusion, représenté par le mur frontalier entre les Etats Unis et le Mexique que Donald Trump prétendit faire ériger durant son mandat, à partir de 2017. Une barrière prévue sur plus de 3000 kilomètres. Sylvain Prudhomme, pour les besoins d’un reportage, avait lui-même longé de part et d’autre, le plus souvent en auto-stop, pendant deux semaines, 2500 kilomètres de l’ouvrage, de la Californie au Golfe du Mexique. Il s’agissait pour lui « de rencontrer des gens, de les photographier, de leur poser des questions sur leur vie ». Il en avait rapporté des notes, des photos Polaroids, et peut-être plus encore une foule d’impressions. Le reportage était paru, mais « le besoin de raconter n’était pas épuisé ». A cela s’ajoutait le fait que « là-bas rien ne bougeait, que Trump revenait ». « Coyote » est né de cette conjonction de circonstances.
Le récit d’une rencontre se construit ici sans les apanages traditionnels du récit
Sylvain Prudhomme y restitue trente-et-une rencontres qu’il eut l’occasion de faire sur cette route de tous les dangers. En épigraphe il cite les deux sens du terme « coyote » dans la région : d’abord le « mammifère carnivore », mais aussi « l’individu qui se charge clandestinement, moyennant rémunération, de faciliter un trajet ». Son livre présente une division du parcours en cinq tronçons d’inégales longueurs kilométriques, depuis Tijuana, dans la baie de Californie, jusqu’à Matamoros dans l’état mexicain du Tamaulipas. A chaque fois se donne à lire le relevé quasi sténographique d’une suite de notations, de bouts de dialogues, de phrases prises à la volée. Souvent quelques mots. Puis l’on passe à la ligne pour un autre énoncé aussi bref. Les plus longues de ces « phrases » n’excédent jamais plus de trois lignes. Le récit d’une rencontre se construit ici sans les apanages traditionnels du récit. Et cependant beaucoup se dit. A la fin de chaque « chapitre », en guise de signature, s’affiche en noir et blanc le cliché Polaroid des interlocuteurs qui prirent l’écrivain en charge pour un bout de route.
La richesse et le sens profond de cet impressionnant livre tiennent précisément à sa conjugaison de prolixité et de lapidarité