Matthieu Gounelle n’est certes pas un débutant. Ce professeur au Muséum d’histoire naturelle, spécialiste des météorites, est l’auteur de publications scientifiques, de textes sur l’art, de travaux de critique littéraire, de recueils de poésie et d’un récit sur le désert d’Atacama paru en 2022 chez Gallimard. Mais c’est la première fois qu’il s’aventure sur le territoire du roman, pour nous livrer un texte d’une considérable force détonante. « Toujours l’aimer » : un talentueux premier roman qui ne devrait pas manquer de bénéficier d’un large écho

A l’origine il y avait eu ce qu’on désigne aujourd’hui comme un « fait de société », un infanticide sur une plage de Berck-sur-Mer en 2016. Une mère y avait abandonné son bébé à la marée montante, plus tard elle s’était rendue à la police. La presse de l’époque s’était largement emparée du sujet. Matthieu Gounelle a choisi le biais de la littérature pour revenir sur cette douloureuse affaire et en explorer la complexité, loin des fausses évidences et de tous les jugements péremptoires. Pour cela il restitue la parole de la mère criminelle, répondant à ceux qui l’interrogent ou monologuant au fond de sa cellule. Une bouleversante mise à nu qui n’est pas sans rappeler le dévidement du flux de conscience faulknérien. Avec, en ouverture, sorte de terrible aveu, une image que cette femme aujourd’hui effondrée a gardée en mémoire : « Dans le train du retour, les hommes me regardaient avec insistance. Ils voyaient bien que le siège à côté de moi était vide. Ils ne m’ont pas adressé la parole, mais le désir brillait dans leurs yeux. C’est vrai, Matthieu n’était plus là. Avec moi j’avais juste un sac ». C’est que tout ici vient à s’entremêler. Les dernières heures au côté du petit garçon, dans une apparence de commune félicité. La soirée dans la chambre d’hôtel et les gestes de l’affection, la confiance et l’abandon de Matthieu, la plage et la promenade le lendemain au petit matin, l’air vif, les vagues au loin, la pensée térébrante qu’elle pourrait un jour perdre le petit être pour lequel elle éprouve un amour éperdu, la peur de le voir souffrir mais aussi de le voir un jour moins attaché à elle. Les bonheurs et les affres d’un parent affronté aux nouveautés d’une vie naissante. Une combinaison d’exaltation et de continues frayeurs : « Comment sauver Matthieu des tourments de ce monde ? Voilà la question que je me posais sans cesse ». Matthieu Gonelle, familier de la minéralité des météorites, montre ici une non moins grande familiarité avec les ressorts fragiles et complexes de l’âme humaine.
Le texte de Matthieu Gounelle, derrière l’admirable pureté du style laisse entrevoir une inextricable confusion des sentiments
Dans son retour sur le déroulement de la tragédie, celle qui se repasse le film de la dernière journée de son petit garçon à aucun moment n’évoque la mort de celui-ci, le mot n’est jamais prononcé par elle. Elle parle de sa beauté, de son sommeil paisible, de son sourire, en une manière de déni de ce qui s’est effectivement joué au plus près de l’eau qui montait. Son récit semble alors relever de la plus stricte objectivité : « J’ai déposé Matthieu au bord de la mer. Il dormait, protégé du froid par son anorak. Sa couleur ? Beige je dirais. Il remuait imperceptiblement, creusant dans le sable une drôle de cavité. Je pense qu’il rêvait dans son sommeil. Cela lui arrive parfois. Je l’ai déposé et je suis partie. Il souriait dans son rêve ». Mais cette mise à distance ne dure pas longtemps. Aussitôt après vient en effet la phrase qui rend caduque cette impassibilité de façade : « S’il avait parlé, tout aurait été différent ». A cette mère angoissée il fallait une preuve qui ne pouvait encore venir. Le texte de Matthieu Gounelle, derrière l’admirable pureté du style laisse entrevoir une inextricable confusion des sentiments. Cet écheveau indémêlable qui habite chacun de nous et qui fait basculer les plus sensibles, ou les plus fragiles, dans les contrées obscures de la déraison. Tel paraît bien être le cas de la mère du petit Matthieu : « Il règne ici un grand chaos dont il est difficile de se défaire, et les ombres sont si nombreuses que je ne sais plus très bien ce que je dis ». En une petite centaine de pages tout ici est dit.
Où l’on voit à quelle aune se mesure une certaine normalité pour celle qui raconte