TERRITOIRES ROMANESQUES

Jean ROUAUD / Nathalie SKOWRONEK


Alors que s’achève la saison des grands prix littéraires  censés consacrer le tout meilleur des livres du moment, le « Nécessaire d’écriture » proposé par l’indispensable Jean Rouaud associé à Nathalie Skowronek, qui de son côté s’affirme de plus en plus sur la scène romanesque, propose une manière de bienfaisante reprise de souffle se présentant à la fois sous les espèces d’un véritable manuel et d’une captivante traversée de l’histoire du roman

Voici donc un ouvrage  à vocation didactique qui sort de l’ordinaire. Non seulement parce qu’il remplit bien la fonction annoncée de nécessaire d’écriture, autrement dit d’inventaire détaillé de l’outillage conceptuel et technique indispensable à qui ambitionne de tenter l’aventure du roman. Mais aussi parce qu’il déplie devant nous le cheminement réflexif propre à chacun des auteurs. Enfin parce qu’il s’appuie sur une éclairante relecture de l’histoire littéraire. En cela il tranche sur les précis, même parfois fort intelligemment conçus, on pense notamment à « Je suis un écrivain » (1998) de l’auteur de romans noirs et critique Gilbert Gallerne, qui  sont apparus en nombre sur les présentoirs des librairies. Une récente enquête d’opinion ne révèle-t-elle pas que le nombre d’écrivains potentiels est supérieur en France au nombre de lecteurs ? Il n’est qu’à voir le succès des ateliers d’écriture et des stages, sans compter l’autoédition en plein essor. Dans ce paysage en profonde  transformation la parution du « Rouaud § Skowronek », qui a toutes les caractéristiques d’un nouvel usuel, marque une étape importante.

C’est le goût du face à face avec la langue et le plaisir de son maniement, qui font que l’on puisse tôt, avant même d’avoir jeté ses premiers mots sur le papier, se sentir et se vivre écrivain

D’entrée de jeu les auteurs balaient une idée qui entretient bien des illusions, notamment parmi les adeptes des ateliers d’écriture : « Il n’y a pas de méthode pour apprendre à écrire. Pas de fabrique à écrivains, pas de formules miracles ni de recettes toutes faites (…) L’écriture ne s’apprend pas, mais elle se pense et se travaille » Il va de soi qu’on parle ici d’écriture littéraire. Et plus précisément encore d’écriture romanesque. Puisqu’il est entendu que si l’on parle d’écriture, c’est d’abord de celle-ci dont il est question. L’important, avant même d’opter pour un sujet ou pour l’un des territoires du roman -s’inscrira-t-on par exemple plutôt du côté de la littérature blanche ou de la littérature noire ? – c’est le goût du face à face avec la langue et le plaisir de son maniement, qui font que l’on puisse tôt, avant même d’avoir jeté ses premiers mots sur le papier, se sentir et se vivre écrivain. Chez Rouaud & Skowronek l’idée est centrale. Ici nulle autre injonction que la sienne propre, « on est seul à s’obliger », « nous sommes les seuls commanditaires et les seuls artisans. » Ensuite vient le travail. Par là il faut entendre l’élaboration d’un texte tout autant que la permanente occupation de l’esprit, sorte d’obsession qui ne cesse de vous requérir à tout moment et en tout lieu. Le visible et l’invisible de ce que l’on appelle la création. On connaît la réplique culte, maintes fois reprise, de Samuel Beckett, prix Nobel 1969, « bon qu’à çà. » On n’ a jamais dit mieux.

Une manière de fantastique mise en roman de la façon dont s’est formé ce qui constitue aujourd’hui notre héritage

Rouaud & Skowronek abordent un autre impératif, à vrai dire indissociable du désir d’écriture : la lecture. « Revisiter l’histoire de la littérature est un présupposé indispensable pour qui rêve de la rejoindre », énoncent-ils d’expérience. Et là, c’est à un véritable feu d’artifice auquel ils nous convient. Une manière de fantastique mise en roman de la façon dont s’est formé ce qui constitue aujourd’hui notre héritage. Un couple continuité-rupture en constante interaction avec ce qui se joue dans la société. Racine, Chateaubriand, Stendhal, Balzac, Flaubert, Proust apparaissent ici dans un rapport qu’on peut qualifier de dialectique avec leur monde et son histoire. Pour s’en tenir à un seul exemple, celui de la naissance du roman réaliste, dans les années 1830, les auteurs convoquent Stendhal et Balzac à leurs débuts. Pour ces deux ambitieux jeunes gens, le genre littéraire suprême, c’est le théâtre (« Le théâtre, à son plus haut poétique, avait traité des bien nés »). Sauf que les temps ont changé, les deux candidats vont l’apprendre  à leurs dépens, après s’être d’abord essayés sans succès à l’écriture dramatique. L’époque attend maintenant autre chose. La bourgeoisie a pris les commandes, « ses faits d’armes, ce sont le commerce, l’esprit d’entreprise, la spéculation. » Autrement dit le terreau du roman réaliste, dans lequel l’un et l’autre vont alors s’engager. Il faut lire ces analyses d’une finesse extrême, qui à coup sûr ouvriront aux apprentis romanciers de vastes perspectives. Et les plongeront peut-être dans des abîmes de réflexion.

En guise de soutien Rouaud & Skowronek ont imaginé des exercices pratiques, disséminés tout du long. Proposant de travailler, qui les grandes masses d’un récit pour la technique narrative, qui les détails d’une phrase pour la scansion et le rythme. Et même pourquoi pas de recopier de grands textes ? De réfléchir aussi au choix des personnages et des lieux, à celui de la voix narrative. A la façon de représenter la complexité du monde. De creuser les questions du titre et de l’incipit. Il y a là quelque chose de tonique et, disons-le, de fondamentalement pédagogique, qui ajoute à l’intérêt de leur démarche. Non seulement réflexion sur le roman, son histoire et sa capacité à donner à voir, montrer sans démontrer. Mais aussi sensibilisation au fait que celui-ci soit un lieu de contraintes, avec sa dynamique propre et ses tensions internes. Enfin last but not least l’idée qu’il ne soit pas une forme figée et qu’il appartient à ceux qui viennent d’y faire entrer du nouveau, à commencer par le phrasé et les usages langagiers. En un mot, un livre de créateurs pour transmettre le flambeau de la création.

« Nécessaire d’écriture, Conseils aux jeunes romanciers » de Jean Rouaud et Nathalie Skowronek, Editions Seghers, 320 pages, 21 €
21/11/2024 – 1719 –W99

2 réponses à “Jean ROUAUD / Nathalie SKOWRONEK”

  1. Toujours un grand merci !!! Et quelle écriture … qui est la tienne!!! Avec mon admiration Catherine

    • Merci chère Catherine, J’ai vraiment beaucoup apprécié ce livre. Pour moi ce fut un régal de lecture et un formidable stimulant/