Le Prix du meilleur livre étranger 2024, catégorie fiction, a été attribué au roman « Mes amis » de l’Anglo-libyen Isham Matar (Gallimard).* Paru fin 2023 en anglais, ce texte de haute volée interroge sur l’exil, la littérature et les différentes formes d’engagement, depuis les relations sentimentales jusqu’aux combats politiques

Après « Au pays des hommes » (Denoël, 2007) et « Une disparition » (Denoël, 2012), deux premières fictions inspirées par l’absence du père, donnée autobiographique capitale, Hisham Matar avait fait paraître « La Terre qui les sépare » (Gallimard, 2017). Il y restituait l’enquête qu’il avait menée consécutivement à la disparition en 1990 de la figure paternelle Jaballa Matar, intellectuel et diplomate opposant à Kadhafi qui s’était exilé en Egypte, y avait été enlevé par la police secrète puis livré à la Libye pour ne plus jamais reparaître. Ce troisième livre avait obtenu le prix Pulitzer. Dans « Mes amis » l’auteur, lui-même né à New York en 1970, évoque le départ de Benghazi de son narrateur, au milieu des années 1980, pour aller étudier au Royaume Uni, et les liens qu’il y noua avec d’autres Libyens. D’abord à Edimbourg puis à Londres. Sous l’identité de Khaled, moyennant quelques transpositions romanesques, c’est en effet Hisham Matar qui ici se raconte, confirmant que le matériau autobiographique constitue sa grande source d’inspiration.
Un irrésistible travail de remémoration s’est enclenché
Le roman s’ouvre en 2016 sur une coursive de la gare de Saint Pancras. Khaled regarde s’éloigner son « vieil ami » Hossam Zowa qui se dirige vers le quai de départ de l’Eurostar, direction Paris avant un envol pour les Etats Unis. Tandis qu’il voit celui-ci traverser le hall une autre scène de séparation lui revient à l’esprit. Cela se passait vingt et un ans plus tôt. Mais un irrésistible travail de remémoration s’est enclenché, qui le fait vite remonter jusqu’à une autre scène plus loin encore dans le temps, au printemps 1984. Il venait d’arriver de Benghazi et avait entrepris des études de lettres à Edimbourg. Avec son compatriote Mustafa il était parti à Londres pour un week-end. Cela se passait en avril. Les deux garçons avaient prévu de faire un tour devant l’ambassade de Libye à Saint James’s Square, où une manifestation d’opposants au régime de Kadhafi devait avoir lieu. Mais les événements avaient tourné au drame. Des coups de feu avaient été tirés depuis le toit de l’ambassade sur la petite foule rassemblée dans la rue, une policière britannique avait été tuée, Khaled et Mustafa avaient été blessés et transportés à l’hôpital : « une amitié sanctifiée par le sang » observe le narrateur. Hisham Matar inscrit le récit de Khaled dans un contexte parfaitement authentique. Une manifestation eut bien lieu à Londres le 17 avril 1984, la policière Yvonne Fletcher fut bien touchée par un tir libyen et mourut bien à l’hôpital de Westminster. Une grave crise diplomatique s’en était bien ensuivie, marquée notamment par onze jours de siège de l’ambassade. Le récit de l’écrivain ne cesse de se nouer d’étroite façon au réel. Tout du long sa fiction en épouse les contours. C’est que ce jour-là tout avait basculé pour Khaled. Il ne pourrait plus retourner à l’université où il imaginait les agents du régime déjà à l’œuvre. Il pourrait encore moins rentrer en Libye. Il devrait limiter au strict minimum les contacts téléphoniques avec sa famille exposée aux représailles. Le statut de réfugié politique lui avait été discrètement accordé. Sa vie se déroulerait désormais à Londres.
Avec la solitude, le prix à payer pour tenir son indispensable rôle de chroniqueur d’une histoire douloureuse
2 réponses à “Hisham Matar”
Un grand merci pour cette chronique.
Le livre devrait vous plaire…