Dans « Vous parler de mon fils » Philippe Besson continue d’explorer les zones toxiques du terreau sociétal. On se rappelle le récent « Ceci n’est pas un fait divers » (2003) sur un féminicide. Cette fois le romancier met en scène une dramatique affaire de harcèlement scolaire. Il en résulte un livre non seulement délicat et bouleversant, mais impitoyablement éclairant sur une mécanique dévastatrice

En épigraphe Philippe Besson a placé, telle une balise, une citation d’Hérodote : « En temps de paix les fils ensevelissent leurs pères, En temps de guerre, les pères ensevelissent leurs fils. » C’est en effet à un contexte de perte de repères et de recul d’humanité que renvoie ce nouveau roman, sans doute l’un des plus puissants de l’écrivain. L’affaire se déroule une fois encore dans la région Ouest d’où celui-ci est originaire. Plus précisément à Saint-Nazaire, où le narrateur à la première personne Vincent Dulac travaille comme chaudronnier aux Chantiers de l’Atlantique. Ce matin de printemps, alors qu’une température de 29 degrés est déjà annoncée, il se trouve encore dans la chambre, s’apprêtant à enfiler la chemise blanche que son épouse Juliette a préparée pour lui. Une journée particulière en effet se prépare. Le blanc y sera de rigueur, pour une marche, dont lui-même, Juliette et leur fils cadet Enzo, neuf ans, prendrons bientôt la tête. La foule réunie rendra un dernier hommage à leur aîné Hugo, qui il y a tout juste un mois avait mis fin à ses jours. Il avait quatorze ans et était élève de troisième au collège André Malraux. Ainsi commence l’implacable récit de Philippe Besson.
Il appartient à la littérature de donner à imaginer la complexité de la situation
Vincent se rappelle le moment où, sans qu’il en ait eu lui-même conscience, la mécanique du malheur pour eux s’était enclenchée. Cela s’était passé quelques mois plus tôt. Il avait suffit d’une simple phrase de Juliette : « Je crois qu’il se passe quelque chose avec Hugo, il n’est pas bien. » Il s’était alors « contenté de hausser les épaules. » Tandis que la marche blanche maintenant s’est mise en branle, Vincent revient sur ce temps des débuts, quand rien ne lui apparaissait certain. Quand les désagréments que vivait son aîné au collège lui paraissaient relever d’un banal apprentissage de la vie. De quoi s’agissait-il au juste ? Deux condisciples l’avaient pris en grippe. Parce qu’il était un bon élève et parce qu’il était un jour venu en classe vêtu d’un tee-shirt rose. Rien de tel pour attiser la vindicte de la « meute, la bruyante comme la silencieuse. » Le phénomène n’est pas nouveau. De cela, les parents n’avaient longtemps rien soupçonné. Pas davantage qu’ils ne verraient plus tard les marques de coups sur les bras et le corps de leur garçon. Pourtant le harcèlement ne s’effectuait pas à bas bruit, le reste de la classe en était tous les jours le témoin. Mais à la maison Hugo avait choisi de garder le silence. Il appartient maintenant à la littérature de donner à imaginer la complexité de la situation. Quand la victime, en minimisant les gestes de ses agresseurs, en quelque sorte les couvre. Quand l’institution scolaire juge préférable de fermer les yeux. Quand chez les parents eux-mêmes le doute s’instille. Vincent et Juliette découvriront trop lentement l’enfer vécu par leur aîné. Philippe Besson explore avec une poignante minutie chaque ingrédient du processus mortifère.
Il y a ici, discrète mais patente, une dimension politique qui inscrit ce roman au nombre des œuvres donnant à comprendre l’époque
2 réponses à “Philippe BESSON”
Très bien décrit, je comprends qu’on sorte d’une telle lecture éprouvé! C’est visiblement un excellent livre, sur un sujet en pleine actualité… mais on hésite à le lire. Ce que souffrent les adolescents est insupportable.
Ce texte est effectivement d’une grande dureté. Sans doute parce qu’une humanité s’y donne à voir, telle qu’en elle-même.