TERRITOIRES ROMANESQUES 2023

Olivier ROLIN


Avec sa résonance poétique « Vers les îles Eparses », titre du récit d’un voyage maritime d’Olivier Rolin, semblerait emporter le lecteur du côté de Jules Verne. Or ces îles Eparses existent bel et bien, quelque part dans l’océan Indien, plus précisément dans le canal du Mozambique, à dix heures de vol de la France. Elles relèvent administrativement des « Terres australes et antarctiques françaises », les « Taaf. » Ne l’aurait-on pas vérifié qu’on aurait pu croire à une belle invention d’écrivain

Dès l’entame on sait qu’il va falloir se méfier, que l’on entre dans un univers où la surface des mots est sujette à variations. Ainsi par exemple, à la deuxième ligne de la première page, ce Roland-Garros qui a moyennement à voir avec l’enceinte sportive dont on nous rebat les oreilles chaque mois de juin, mais beaucoup plus avec l’aviateur né en 1888 à Saint-Denis de La Réunion, qui lui a donné son nom, Le récit d’Olivier Rolin commence en effet à l’aéroport Roland-Garros du département français de l’océan Indien, où un matelot de la Marine nationale est venu l’accueillir pour le conduire à bord du « Champlain », un « Bsoam », « bâtiment de soutien et d’assistance outre-mer. » Très vite il lui faudra ingurgiter une foule d’abréviations et autres acronymes qui tissent le quotidien langagier de l’équipage. Car il s’apprête à naviguer un mois sur ce « petit bateau, soixante-cinq mètres de long, l’air trapu et teigneux d’un gros remorqueur. » C’est la rémunération, la « pige », que, faute de moyens financiers, lui a proposée la Marine nationale en paiement d’une préface à « La guerre du Péloponnèse » de Thucydide publiée aux Editions de l’Ecole de guerre. La mission du « Champlain » consiste a  « ravitailler les minuscules garnisons que la France entretient sur [des] possessions disputées au milieu du canal du Mozambique ». Le préfacier reste dans le bain de la géopolitique.

Si l’effet d’étrangeté joue à plein pour lui, ce n’est certainement pas là où on l’attendrait

Dans son récit teinté d’un permanent humour Olivier Rolin, en même temps qu’il relate la traversée, brosse de lui-même un portrait qui fait immédiatement comprendre sa totale extériorité par rapport à l’équipage qu’il côtoie. A  commencer par son âge, de très loin supérieur à celui de ses compagnons, « un gouffre générationnel. » Mais aussi son statut de civil, son origine parisienne, son apparente inactivité, qui font de lui un « être insolite » à bord. Il lit, observe, prend des notes, dessine. Pour un regard extérieur l’oisiveté semble être sa règle de vie (« Il n’y a que moi qui ne fasse rien. ») L’exact contraire des jeunes hommes et femmes continûment requis par quelque tâche essentielle au fonctionnement du bâtiment et l’accomplissement de sa mission. Si l’effet d’étrangeté joue à plein pour lui, ce n’est certainement pas là où on l’attendrait, dans ces îles Eparses qu’il découvre. Mais bien plutôt dans le voisinage de cette juvénile humanité militaire aux habitudes de vie et aux centres d’intérêt si éloignés des siens. Et plus encore peut-être à son langage particulier. Mais Rolin se rappelle opportunément Ronsard et Flaubert, qui recommandaient d’utiliser les mots justes pour désigner les êtres et les choses. Les termes techniques « sont faits pour être employés », nous dit-il.

Ces fictions constituent une partie de leur quotidien, tels des comédiens mimant le réel

Cependant un dialogue se noue, au fil des proximités. Pas nécessairement celui que l’écrivain mûr pouvait attendre. Mais une ouverture sur des horizons individuels inattendus, sur la différence des milieux d’origine. Depuis les enfants d’ouvriers jusqu’aux « sabre et goupillon » des familles à particule. Olivier Rolin esquisse quelques portraits de ces jeunes militaires déjà proches de leurs futures retraites. Dont la vie à bord consiste pour beaucoup, à travers une multitude d’exercices, à anticiper des situations qui ne se présenteront que rarement. Ces fictions constituent une partie de leur quotidien, tels des comédiens mimant le réel. Il évoque aussi les mouillages au large des îles du bout du monde, les beautés de celles-ci comme leur exotisme quelque peu répétitif. Et les gendarmes ou même les chasseurs alpins qui s’y relaient, que le « Champlain » vient relever. Puis il s’attarde longuement sur l’escale sud-africaine de Durban, véritable carrefour d’équipages du monde entier, comme « un minuscule aperçu des énormes mouvements des peuples à la recherche d’une vie meilleure. » L’auteur de « Tigre en papier » (2002) et plus récemment de « Jusqu’à ce que mort s’ensuive » (2024) n’a ici rien perdu de l’acuité de son regard politique. Ce qui manifestement le distingue de ses compagnons du bord.

Si « Vers les îles Eparses » n’atteint pas les cent pages, beaucoup s’y retrouve de ce qui depuis les débuts en 1983 caractérise la littérature d’Olivier Rolin dans une trentaine de livres, romans, récits géographiques, essais : les aventures, les voyages, les engagements. Formant un captivant ensemble, à peu près unique en son genre.

« Vers les îles Eparses » d’Olivier Rolin, Editions Verdier, 96 pages, 17,50 €
23/01/2025 – 1727 – W107


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