TERRITOIRES ROMANESQUES 2023

François THIBAUX


A ceux qui ne connaîtraient pas encore le talentueux François Thibaux l’on ne saurait trop conseiller une immersion dans « Le Vélo de l’ange », son dernier recueil de nouvelles paru chez Cours toujours, une maison d’édition associative installée dans le département de l’Aisne, où lui-même vit et travaille. Depuis bientôt un demi-siècle François Thibaux nous donne  en effet à lire des textes de haute tenue, romans et nouvelles, qui se caractérisent par la puissante beauté de leur écriture. Il serait dommage de passer aujourd’hui à côté de ce « Vélo de l’ange »

Le titre du recueil est aussi celui de la deuxième des douze nouvelles du volume. Ce n’est pas vraiment le fait du hasard. Il y est question d’Anne- Marie, la compagne de l’auteur, décédée le 20 mars 2019. Mais aussi d’une autre figure, vouée à une fonction d’intercession entre ici et l’au-delà, l’écrivain et sa disparue. Cinq semaines après la funeste journée, les médecins « à l’heure de l’équinoxe de printemps » avaient pris la décision de tout arrêter, celui qui restait avait recommencé d’écrire. Cela se passait le 1er mai. Le 10 juin il  posait le point final d’un texte de treize pages en même temps lumineuses et bouleversantes. Il avait alors pu enfin « pleurer pour de bon. » Entretemps il avait paru  faire front à l’épreuve. Tandis que des souvenirs de temps heureux l’assaillaient et qu’au dehors dans son village picard tout se continuait, il gérait le quotidien et ses urgences. Il lui fallait organiser les obsèques, assumer les nécessaires obligations sociales. La vie, cette combinaison de passé et de présent, ne cessait pas de poursuivre son impavide avancée. Jusqu’à ce qu’un jour sur une route des environs il fît la rencontre d’un jeune garçon lancé à fond sur son VTT. Pour lui une  incarnation de l’insouciance, du plaisir de l’instant. Et plus encore le surgissement d’un véritable ange messager, qui allait quelque temps le divertir, au sens pascalien, de son deuil : ce ne pouvait être que la défunte compagne qui avait envoyé l’enfant sur son chemin. Une semaine durant il en fut convaincu, avant de se retrouver assis à la table du salon, dans la maison qui sonnait désormais le vide, un verre de  whisky à la main, laissant enfin jaillir un flot de larmes. La scène consolatrice avec l’ange n’avait relevé que du songe… L’art de François Thibaux se trouve tout entier rassemblé dans ces treize pages admirables.

Un imaginaire qu’on pourrait aisément rapprocher du  réalisme magique de la proche Belgique

A côté d’un sens aigu de l’observation, d’une sensibilité aux beautés picturales du paysage comme aux stigmates laissés par l’Histoire, l’écrivain fait en effet entrer dans ses proses un imaginaire qu’on pourrait aisément rapprocher du  réalisme magique de la proche Belgique. Dans son « pays de forêts […] le gris fade et morne du ciel d’hiver a des allures de fin du monde » : on peut penser ici à Hubert Lampo, Xavier Hanotte ou encore André Delvaux. La nouvelle liminaire intitulée L’Accordeur en impose d’entrée de jeu la présence, au fil d’un savant dialogue avec l’homme venu remettre en état le piano, après que le narrateur s’était retrouvé seul. Un échange forcément brillant entre deux personnages d’une culture rigoureusement identique. Paraissant au bout du compte n’en faire qu’un. Et si tout cela n’avait été que le produit du rêve de celui qui écrit ? On ne pouvait concevoir introduction plus suggestive au réalisme magique, avec ses glissements dans un réel augmenté, ses flottements de la conscience et ses pures  imaginations.   

Au bord de la tombe des souvenirs de temps heureux l’avaient assailli

A ne pas s’y tromper la nouvelle se présente chez François Thibaux comme un genre majeur. Par exemple encore dans Ecaterina, où un veuf originaire de Roumanie, employé des pompes funèbres, après l’émouvante inhumation d’un artiste peintre au cimetière de Montmartre pendant le Covid  retrouve sa mère et sa fille dans leur appartement du 18ème et finit sa journée lisant à l’enfant Le Petit Poucet. Au bord de la tombe des souvenirs de temps heureux l’avaient assailli, ainsi que dans les cimetières joyeux de son pays natal. Le soir, dans la chambre d’Ecaterina, il est question d’un ogre. La culture double des Carpates projette son ombre sur ce texte à la tonalité élégiaque. Ailleurs ce sont le 17ème et le 21ème siècle qui se répondent à travers les voix de protestants pourchassés et de l’un de leurs descendants. Ailleurs encore la mort d’un nouveau né en 1947 dans le Tarn, et les images qui hantent son frère aîné émigré dans le Nord, soixante-huit ans plus tard. Que plus loin dans le recueil l’on retrouve en gériatrie, avec un déambulateur et des émois de collégien dans la proximité troublante de celles qui prennent soin de lui. Il y aura encore cette jeune femme aux trois noms de famille, ceux de sa mère et de ses deux pères, en écho aux changements récents du monde. Enfin ce dialogue rêvé,  d’une subtile ironie, entre une morte et un homme pas encore né : un monsieur de quatre-vingt-cinq ans invente une ultime histoire avant son dernier souffle.

Si la mort est ici omniprésente, on en comprend bien les raisons, c’est sans doute moins pour donner libre cours à une compréhensible déploration, que pour ouvrir chaque  nouvelle du recueil à une considérable profondeur. Celle-là même qui confère à tous les instants vécus leur incommensurable beauté.

« Le Vélo de l’ange » de François Thibaux, Editions Cours toujours, 136 pages, 17 €
14/02/2025 – 1730 – W110

2 réponses à “François THIBAUX”

  1. Merci pour Elle en ce jour de signature qu’est la Saint Valentin.
    Elle passeur témoin relais d’une course où l’or se mue en écriture
    Merci François pour ce baume.