A ceux qui ne connaîtraient pas encore le talentueux François Thibaux l’on ne saurait trop conseiller une immersion dans « Le Vélo de l’ange », son dernier recueil de nouvelles paru chez Cours toujours, une maison d’édition associative installée dans le département de l’Aisne, où lui-même vit et travaille. Depuis bientôt un demi-siècle François Thibaux nous donne en effet à lire des textes de haute tenue, romans et nouvelles, qui se caractérisent par la puissante beauté de leur écriture. Il serait dommage de passer aujourd’hui à côté de ce « Vélo de l’ange »

Le titre du recueil est aussi celui de la deuxième des douze nouvelles du volume. Ce n’est pas vraiment le fait du hasard. Il y est question d’Anne- Marie, la compagne de l’auteur, décédée le 20 mars 2019. Mais aussi d’une autre figure, vouée à une fonction d’intercession entre ici et l’au-delà, l’écrivain et sa disparue. Cinq semaines après la funeste journée, les médecins « à l’heure de l’équinoxe de printemps » avaient pris la décision de tout arrêter, celui qui restait avait recommencé d’écrire. Cela se passait le 1er mai. Le 10 juin il posait le point final d’un texte de treize pages en même temps lumineuses et bouleversantes. Il avait alors pu enfin « pleurer pour de bon. » Entretemps il avait paru faire front à l’épreuve. Tandis que des souvenirs de temps heureux l’assaillaient et qu’au dehors dans son village picard tout se continuait, il gérait le quotidien et ses urgences. Il lui fallait organiser les obsèques, assumer les nécessaires obligations sociales. La vie, cette combinaison de passé et de présent, ne cessait pas de poursuivre son impavide avancée. Jusqu’à ce qu’un jour sur une route des environs il fît la rencontre d’un jeune garçon lancé à fond sur son VTT. Pour lui une incarnation de l’insouciance, du plaisir de l’instant. Et plus encore le surgissement d’un véritable ange messager, qui allait quelque temps le divertir, au sens pascalien, de son deuil : ce ne pouvait être que la défunte compagne qui avait envoyé l’enfant sur son chemin. Une semaine durant il en fut convaincu, avant de se retrouver assis à la table du salon, dans la maison qui sonnait désormais le vide, un verre de whisky à la main, laissant enfin jaillir un flot de larmes. La scène consolatrice avec l’ange n’avait relevé que du songe… L’art de François Thibaux se trouve tout entier rassemblé dans ces treize pages admirables.
Un imaginaire qu’on pourrait aisément rapprocher du réalisme magique de la proche Belgique
A côté d’un sens aigu de l’observation, d’une sensibilité aux beautés picturales du paysage comme aux stigmates laissés par l’Histoire, l’écrivain fait en effet entrer dans ses proses un imaginaire qu’on pourrait aisément rapprocher du réalisme magique de la proche Belgique. Dans son « pays de forêts […] le gris fade et morne du ciel d’hiver a des allures de fin du monde » : on peut penser ici à Hubert Lampo, Xavier Hanotte ou encore André Delvaux. La nouvelle liminaire intitulée L’Accordeur en impose d’entrée de jeu la présence, au fil d’un savant dialogue avec l’homme venu remettre en état le piano, après que le narrateur s’était retrouvé seul. Un échange forcément brillant entre deux personnages d’une culture rigoureusement identique. Paraissant au bout du compte n’en faire qu’un. Et si tout cela n’avait été que le produit du rêve de celui qui écrit ? On ne pouvait concevoir introduction plus suggestive au réalisme magique, avec ses glissements dans un réel augmenté, ses flottements de la conscience et ses pures imaginations.
Au bord de la tombe des souvenirs de temps heureux l’avaient assailli
2 réponses à “François THIBAUX”
Merci pour Elle en ce jour de signature qu’est la Saint Valentin.
Elle passeur témoin relais d’une course où l’or se mue en écriture
Merci François pour ce baume.
Merci à vous.
La beauté de l’écriture est baume, effectivement.