Autrice d’une quinzaine de livres dont le trait commun, à travers la variété des sujets, est le sens de la suggestion et l’élégance de l’écriture pour dire l’intensité dramatique de certains désordres en soi et en dehors de soi, Céline Debayle propose aujourd’hui un texte non moins remarquable, mais dans un registre radicalement nouveau, à la fois thriller et roman d’aventure. « Dans le jardin de l’hôtel Dean’s » restitue en effet la funeste histoire vécue dans un pays lointain par un jeune couple de routards dans les années 1970

Celle qui raconte à la première personne n’avait pas pris avec son ami Jules la direction du Népal, pays mythique dont toute une génération marquée par la pensée hippie alors rêvait. Ils avaient joué la distinction en visant une destination plus singulière et sans doute moins sûre, le mystérieux Bhoutan enclavé au cœur de l’Himalaya. Ce voyage vers le lointain royaume, à l’instar de celui vers Katmandou, relevait d’une quête spirituelle : « traverser les fuseaux horaires plutôt que les boulevards […] sonder l’inconnu pour mieux nous explorer », précise dès les premières pages la narratrice, qui rappelle que le passé fut, pour l’un et l’autre, source de difficultés, voire plus, et d’insatisfaction (« Le passé portait trop d’ombres, nous réclamions le soleil »). Ils s’étaient donc élancés vers l’Orient à bord de leur Dodge aménagé, une ancienne ambulance de l’US Army. Avec eux se tenait leur chien Loulou, dont ils ne soupçonnaient pas encore qu’il allait bientôt jouer un rôle majeur dans leur aventure. La principale occupation de celui-ci avait jusqu’alors consisté à rapporter indéfiniment la balle que ses maîtres lui lançaient. Leur route passait d’abord par le monde sûr, la Suisse, l’Italie, la Yougoslavie, la Turquie. Ensuite ils devaient rejoindre l’Iran, le Pakistan, l’Inde, enfin le petit Bhoutan à l’est du Népal. Une longue équipée dont ils ne verraient jamais le terme. Dès la sortie de l’Iran, pendant la traversée du Balouchistan, la grande province pakistanaise avec son immense désert rocheux, leur véhicule avait été visé, une balle avait traversé la carrosserie du Dodge. Ils avaient trouvé refuge dans la première ville rencontrée, Peshawar, et étaient descendus dans un établissement de légende issu du temps de la splendeur victorienne, l’hôtel Dean’s.
Une tension ne cesse ainsi de monter, dont on perçoit peu à peu l’origine, dans une dramaturgie savamment agencée
Dans ses pages d’ouverture Céline Debayle confirme la vigueur de son écriture comme son sens de la suggestion. Il lui suffit de quelques phrases très retenues pour donner à imaginer un passé personnel, restituer l’ambiance d’une époque : « la jeunesse d’Occident cherchait en Inde la paix intérieure, parmi les vaches osseuses et les miséreux intouchables. » Cependant que des annotations au fil du récit annoncent le tournant tragique que va bientôt prendre leur aventure. Par exemple ces images de routards sans le sou, livrés dans des hôtels crasseux à la maladie et à la drogue. Une tension ne cesse ainsi de monter, dont on perçoit peu à peu l’origine, dans une dramaturgie savamment agencée. Alors que le nom de l’hôtel les renvoyait à leur idole James Dean et à la fulgurance romantique de sa courte vie, que la luxuriance du vaste jardin leur était apparue comme la préfiguration d’un paradis et que l’une des premières personnes rencontrées, un certain Joël Phong, ingénieur dans les pétroles, leur avait semblé tel un modèle d’urbanité, toute cette illusion de jeunes Occidentaux s’effondrerait soudain pour laisser place à un polar sordide.
Un texte aux allures de polar mais à l’évidente ambition littéraire