Depuis « La Mémoire brûlée », son premier roman (Editions du Seuil, 1979), Jean-Noël Pancrazi invite ses lecteurs dans ce qu’un documentaire réalisé en 2013 désigne très pertinemment comme ses « Territoires intimes. » L’exploration aujourd’hui continue avec « Quand s’arrêtent les larmes », un récit chargé d’émotion dans lequel la sœur de l’écrivain tient le premier rôle

Plusieurs titres majeurs jalonnent ce parcours d’écriture : « Les quartiers d’hiver » (1990), « Le silence des passions » (1994), « Madame Arnoul » (1995), « Long séjour » (1998), « Tout est passé si vite » (2003), « La Montagne » (2012), « Je voulais leur dire mon amour » (2018), ou encore « Les années manquantes » (2022). La liste, longue mais nécessaire, rappelle à quel point Jean-Noël Pancrazi compte dans le paysage littéraire. « Quand s’arrêtent les larmes » commence un jour d’automne dans le hall de la gare de Perpignan : avec Sétif, sa ville natale en Algérie, la métropole catalane constitue l’autre référence géographique de son œuvre. Ce jour-là sa sœur Isabelle est venue l’attendre au tout premier rang au bout du quai. Elle était inquiète qu’il « ne la reconnaisse pas de loin, d’avoir trop maigri. » Peu auparavant elle lui avait annoncé au téléphone être atteinte d’un cancer. Le récit de Jean-Noël Pancrazi s’attache à l’avancée de la maladie, malgré l’opération, le protocole mis en place et la chimiothérapie, en même temps qu’il procède à un bouleversant retour en arrière sur leurs deux vies et leur similitude bien plus profonde qu’il pouvait d’abord y paraître. Depuis toujours, par-delà leur éloignement, elle à Perpignan et lui à Paris, ils n’avaient jamais cessé de quasi quotidiennement s’enquérir de leurs existences respectives. Tandis que dans ses livres il avait tenu le rôle de « messager » de leur enfance, elle l’avait souvent porté à bout de bras quand lui-même avait dû affronter des temps difficiles. Ainsi dans les tout derniers mois sa coûteuse mésaventure électronique avec un brouteur censé ouvrir un salon de coiffure à Bamako : il s’était cru « aimé à l’autre bout de la terre. » Comble d’ironie, sa sœur aurait bientôt besoin d’une perruque.
L’on ne cesse d’observer les proximités entre la sœur et le frère, à commencer par leurs « désirs parallèles »
L’écrivain se rappelle l’intensité des échanges avec Isabelle, mais aussi les engagements et les passions de celle-ci, avec fréquemment leur mère en arrière-plan, à l’époque pas vraiment amène avec sa fille turbulente et peu studieuse, à l’opposé du frère aîné qui maintenant mène le récit. Il y a ici certes du roman familial, mais sans doute plus encore la restitution d’un temps qui fut celui des soubresauts ultimes de la colonisation et du surcroît général de barbarie qui s’ensuivit. L’on voit passer Djamila Boupacha et Gisèle Halimi. L’on assiste à l’arrivée de la famille en 1962 à Perpignan après les accords d’Evian. L’on voit Isabelle et son frère mal fagotés, mais bénéficiant d’une prime attribuée aux rapatriés, dans un home d’enfants « sélect » de Font-Romeu (« comment teindre à la dernière minute nos chaussures, le chemisier d’Isabelle et ma veste pour qu’elle se transforme en blazer »). L’on entend plus tard résonner les revendications de liberté du Hirak. Puis l’on découvre dans le présent Driss, ami de l’écrivain l’attendant désespérément, seul dans un ryad déglingué de Marrakech. Mais avant tout l’on ne cesse d’observer les proximités entre la sœur et le frère. A commencer par leurs « désirs parallèles. » Avec une belle délicatesse Jean-Noël Pancrazi déplie doucement ce qui, d’un même mouvement, semblablement les distingue et les soude, leurs « amours particulières. »
Des souvenirs remontent, des images refont surface, témoignant de la force du lien qui n’avait cessé de les unir