De prime abord Le miel des anges s’inscrirait plutôt dans la constellation des « petits éditeurs. » Mais à y regarder de plus près la maison fondée en 2013, qui propose des traductions de la littérature grecque du XIXe siècle à nos jours, se positionne comme l’un des éditeurs importants dans ce domaine, combinant le fonds classique et la plus audacieuse modernité. Plus récent exemple en date, la novella « Le dernier des ours » d’Akis Papantonis, qui nous révèle un auteur d’une saisissante actualité

Le livre se présente sous la forme d’un abécédaire : vingt-quatre chapitres de A à Z déclinant les vingt-quatre lettres de l’alphabet grec. En leur sein ont été insérées des Stations, sortes de prises de recul à valeur documentaire dans le double récit d’un épisode dramatique de l’histoire européenne de la fin du XXème siècle et de trente années de la vie d’une famille grecque. L’une et l’autre entretenant quelques rapports. En ouverture des chapitres de brefs paragraphes d’une aveuglante crudité font resurgir, à travers les regards de témoins ou d’acteurs, ce qui constitua l’apogée morbide de la période : le massacre de Srebenica, en juillet 1995, durant la guerre de Bosnie. Des Grecs s’y trouvèrent en effet mêlés, au nom d’une solidarité entre orthodoxes mâtinée de nationalisme. Akis Papantonis propose sous cette forme d’apparence éclatée, en fait d’une impressionnante cohérence, la restitution de la scène primitive des dérives identitaires qui pour partie bouleversèrent ensuite l’ordre du monde. C’est peu dire que « Le dernier des ours » non seulement restitue à merveille ce qui alors se joua et n’en finit pas de résonner, mais hausse sa représentation à une véritable hauteur symbolique.
La novella d’Akis Papantonis s’attache à ce temps de retour de la barbarie en plein cœur de l’Europe
Pour cela il s’attache aux destinées divergentes de deux frères, l’aîné Nikos né en 1975 et le cadet Thodoris, celui qui ici raconte né trois ans plus tard. Ancien étudiant à Thessalonique, auteur d’une thèse avortée sur Démocrite, aujourd’hui émigré en Allemagne « pour éviter l’armée. » Ils étaient restés unis par un lien puissant alors que tout semblait les opposer. Le premier avait tôt fréquenté les marges et choisi les aventures douteuses, quand il exigeait du second qu’il ne sorte pas de la norme et soit en quelque sorte le fils prodigue de la famille Mànessis, que lui-même n’avait pu être. Dès les premières pages il apparaît clairement de quel côté penche Nikos. C’était au début des années 1990, alors que son frère avait entamé des études de chimie. Un jour il lui avait demandé d’aller le chercher à Oreokastro pour le ramener à Thessalonique, distante d’une dizaine de kilomètres. Jusque là rien d’anormal. Sauf que Nikos s’en revenait de plus au nord, de « derrière la frontière », et avait dû se cacher. Le nord, c’était la Bosnie-Herzégovine. En 1992 la république fédérative socialiste de Yougoslavie implosait sous la poussée des nationalismes. Avec un contingent de volontaires grecs affiliés à l’extrême droite Nikos était allé combattre au côté des orthodoxes Serbes contre les musulmans bosniaques. On sait les massacres qui suivirent, dont une succession de flashs restitue le détail. La novella d’Akis Papantonis s’attache à ce temps de retour de la barbarie en plein cœur de l’Europe, cependant qu’en Grèce apparaissait un nouveau parti, désigné ici comme le Rassemblement, de son vrai nom Rassemblement populaire – Aube dorée, qui reprenait les thèmes xénophobes, souverainistes, natalistes et irrédentistes des néo-nazis.
Des images à valeur métaphorique qui dessinent les grands enjeux dans leur ombre portée