« Domaine Lilium » est le premier roman de Michael Blum, par ailleurs auteur de nombreux autres livres. Professeur à l’Ecole des arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), spécialiste des représentations contemporaines de la mémoire, celui-ci a choisi le genre noir pour affronter un sujet lié conjointement à l’architecture et la Shoah : la cité de la Muette, à Drancy, qui changea plusieurs fois de fonction, mais reste dans l’Histoire comme l’étape ultime avant le transfert vers les camps de la mort nazis

Au centre du récit se tient Dan Katz, Israélien de gauche ayant acquis la nationalité canadienne, historien de l’architecture enseignant à l’université McGill de Montréal. Après un crochet par Tel Aviv pour rendre visite à sa vieille mère, il a pris la direction de Paris afin d’aller étudier sur place l’ancien camp d’internement. Il s’agit pour lui de produire un travail qui synthétiserait « l’éminence architecturale et l’horreur concentrationnaire. »Avant d’être dévolu à sa sinistre fonction, cet ensemble de bâtiments alors moderniste édifié en 1932 avait été destiné à l’habitat social. A la Libération il était devenu une caserne de gendarmerie avant de revenir à sa fonction première et d’entrer dans le parc HLM de la ville de Drancy. A la BnF Katz dépouille et numérise un nombre considérable d’ouvrages d’architecture, d’études historiques et d’archives sur le sujet. Mais sa recherche prend un tour nouveau lorsqu’il tombe sur les noms de Joseph et Colette Katz, ses grands-parents paternels, respectivement lieutenant-médecin et infirmière, qui furent déportés avec leurs enfants dans le convoi 57 du 18 juillet 1943 à destination d’Auschwitz. Avant de partir pour la chambre à gaz Joseph Katz, qui en sa qualité de médecin responsable avait osé récriminer, avait été sadiquement torturé par des troupiers allemands, auxquels l’avait livré l’un des gendarmes français chargés par l’occupant de veiller au bon fonctionnement de cette antichambre de la mort. Il s’agissait du lieutenant de gendarmerie Henri Cannac, qui avait été jugé par une cour de justice en 1947 et avait écopé d’une peine légère de deux mois de prison. D’entrée de jeu le passionnant récit de Michael Blum s’attache à démêler une matière complexe, à la croisée du roman familial, des turbulences de l’Histoire et de sa propre réflexion sur le lien entre architecture et politique. L’on sait par exemple combien les régimes totalitaires s’emparèrent du modernisme architectural pour afficher leur capacité de rupture et leur puissance.
Michael Blum, en des pages bouleversantes, évoque d’un même mouvement ce qui se déploie sous le regard de Katz et ce que celui-ci, en superposition, imagine du camp et de la vie des détenus
Dan Katz se lance alors dans une nouvelle captivante enquête. Il se rend à Drancy, y sous-loue une chambre dans l’ancienne Cité de la Muette aujourd’hui sous la férule de trafiquants. Moyennant paiement, ceux-ci le laissent pénétrer dans les caves où l’on torturait. Des graffitis témoignent encore du passage de suppliciés avant leur embarquement dans les convois de la solution finale. Michael Blum, en des pages bouleversantes, évoque d’un même mouvement ce qui se déploie sous le regard de Katz et ce que celui-ci, en superposition, imagine du camp et de la vie des détenus à l’été 1943. Son père Georges, seul survivant de la famille, devenu Haim après son installation en Israël, avait obstinément gardé le silence sur cette période. Il s’était suicidé au début des années 1970 alors que Dan était encore enfant : « Père et fils n’avaient pas eu le temps de se connaître, encore moins de partager l’histoire familiale. » Pour Dan Katz il s’agit désormais, en dépit de ses principes éthiques, de venger les siens.
Une manière de loi du Talion a posteriori