Sous un titre, « Abattis », qui intrigue, Yves Charnet propose un livre à nul autre pareil. L’on sait son inventivité langagière comme son goût de la provocation. L’on sait également son insatiable curiosité et son immense culture. Le beau volume des éditions Tarabuste en porte aujourd’hui témoignage

Les abattis dont il est ici question ne sont pas ceux de la langue commune, découpes de volaille ou membres humains (« Numéroter ses abattis »), mais ceux qu’évoquait d’ironique et très matérialiste façon Rodin quand en 1902 il avait reçu le jeune Rilke dans son atelier de Meudon : des morceaux sculptés de corps, bras, têtes, jambes, mains, pieds, qu’il assemblerait ensuite au gré de ses inspirations. Stefan Zweig restitua ces rencontres dans des pages devenues fameuses. Yves Charnet procède dans son livre à l’identique, rassemblant dans vingt-quatre chapitres suivant l’ordre alphabétique (il y manque le X et le Z) des phrases de toutes origines glanées au fil du temps. Non seulement un véritable « autoportrait en citations », mais une façon d’immense réservoir dans lequel piocher pour nourrir l’œuvre et enrichir la vie. L’on y trouve du Blaise Pascal comme du Michel Audiard, du Georges Orwell comme du Dominique Sanda, du Pierre Bergounioux comme du Stig Dagerman… Des sources qui proviennent pour l’essentiel de la littérature et du cinéma et moindrement d’autres arts comme la musique et la peinture. Non pas une collection d’aphorismes, mais à chaque fois des incitations à la réflexion. Si l’étendue de ces références est impressionnante, c’est aussi leur pertinence qui frappe. Rien à voir avec ces « hantologies » qui relèvent davantage de l’exercice savant que d’une vision donnant au tout sa cohérence.
Un semblable désir de ramasser le long de son chemin tout ce qui, inséré dans un plus grand tout, prendra une dimension nouvelle
Car ces « Abattis » trahissent la forte personnalité de l’auteur. Colligés dans son livre, ils signalent une véritable appropriation. Le rapprochement paraîtra vraisemblablement illégitime à certains admirateurs d’Yves Charnet, mais on ne peut s’empêcher de distinguer dans son travail quelque parenté avec ce qui avait guidé le Facteur Cheval : un semblable désir de ramasser le long de son chemin tout ce qui, inséré dans un plus grand tout, prendra une dimension nouvelle. Un simple exemple, pris en ouvrant le livre au hasard, mais on pourrait répéter plusieurs fois l’opération pour un résultat équivalent : pages 105 à 108, la succession des occurrences « école », « écorcher », « écran », « écrire », « écriture », « écrivain », « éditeur », « éduquer », signale un évident cheminement de pensée. Comme le choix des auteurs cités illustre la largeur du champ de références : Pierre Bonnard, Gérard Depardieu, Françoise Sagan, Jean-Luc Godard, Antoine Blondin, Jorge Luis Borgès, Jean Cocteau, Guy Debord, Marguerite Duras, Gustave Flaubert, Gérard Macé, Pierre Michon, Marcel Proust, Pascal Quignard, Paul Scarron, Georges Bernanos, Yves Navarre, Maurice Blanchot , Gilles Deleuze, Josyane Savigneau, Eric Hazan, Marc Twain. Placés les uns à la suite des autres, leurs textes dessinent une certaine façon de concevoir et pratiquer la littérature.
« Hantologie », combinaison d’anthologie et de hanter