TERRITOIRES ROMANESQUES 2023

Hélène LAURAIN


Après « Partout le feu », en 2022, sur l’avenir sombre de la planète et les résistances à l’œuvre, Hélène Laurain propose un saisissant deuxième roman, « Tambora », pour partie en écho à ce premier texte, qui confirme la réelle originalité et la grande force de son écriture. Elle avait mis neuf mois pour enfanter son premier livre : le  temps d’une maternité. Dans la continuité il est aujourd’hui question des hauts et des bas d’une gestation, mais aussi des angoisses liées à l’état dégradé du monde et à l’urgence climatique

Ce qui frappe d’abord dans cette écriture terriblement  prenante, c’est sa richesse formelle. La narratrice, en même temps qu’elle analyse crûment les transformations de son propre corps, s’adresse à ses filles, celle déjà venue au monde et celle à venir, afin de les alerter face aux catastrophes qui menacent. Elle évoque également la venue d’un nouveau livre. L’époque est pour elle à la création sous toutes ses formes. Avec ses interrogations, ses angoisses et ses emballements. Pour restituer le bouillonnement en soi, la poussé double d’une nouvelle vie et de l’écriture, elle recourt aux ressources multiples de la rhétorique. Le  récit de sa gestation s’enrichit ainsi de soudaines échappées poétiques, jusqu’au calligramme, et de prises de recul, au gré de sa propre météorologie.  

La double figure de l’ébranlement intime et de la catastrophe climatique qui commande son écriture

Avec en constant point de mire ce Tambora qui prête son nom au titre du roman. Un volcan indonésien dont la formidable éruption en 1815, la plus violente jamais enregistrée, mais longtemps ignorée – d’une part masquée par un autre séisme, sur la plaine de Waterloo, de l’autre par le fait que « ses victimes sont pauvres ; elles n’écrivent pas » – plongea un temps la terre dans l’obscurité et affecta le climat  pendant plusieurs années. Pour Hélène Laurain la double figure de l’ébranlement intime et de la catastrophe climatique, qui commande sa propre écriture. On pourrait ajouter, elle y fait explicitement référence, son incidence sur la vision de certains grands artistes : « Les tableaux de William Turner, Caspar David Friedrich, John Constable datant de ces années affichent des crépuscules cendrés, de rouges à jaunâtres ; nuits éternelles.» L’écrivaine avec « Tambora » reprend superbement leur geste.

Rarement la dimension physique et la dimension métaphorique ne s’étaient trouvées ainsi accordées

Pour elle il y a quelque chose de sismique dans une vie de femme. Les cycles du corps, les écoulements, les conceptions, les expulsions. Rarement la dimension physique et la dimension métaphorique ne s’étaient trouvées ainsi accordées. Du très grand art. Hélène Laurain réussit en effet le tour de force de saisir d’un même mouvement le temps chaotique de la grossesse et un chaos à une plus vaste échelle. Les violentes perturbations qui affectent un  corps en gestation et la multiplication des catastrophes. L’apparition d’une vie nouvelle dans une ambiance de fin du monde. Le premier quart du XXIème siècle se trouve ici saisi avec une rare fidélité. Non pas à la manière des figuratifs, mais dans une certaine façon de recomposer l’air du temps. A commencer par cette écriture hybride au plus près de ce qu’elle désigne comme « le contemporain. »  La réalité s’y trouve saisie dans sa multiplicité, le proche et le lointain, l’intime et l’universel, le présent et le passé. Avec leurs constantes interactions, dont les vies humaines sont le produit. Hélène Laurain dit en l’espèce l’incertitude des choses. Et sa propre perplexité face au monde que ses enfants vont devoir affronter : comment pouvoir «  respirer socialement, politiquement, financièrement aussi, dans le monde que nous vous proposons ? » s’interroge-t-elle. C’est que
« Depuis que la catastrophe se dessine plus nettement
que les dystopies sont rattrapées par le réel
l’impression est là de tout voir
tout goûter
pour la dernière fois
. »

« Tambora » se présente incontestablement comme un grand texte d’aujourd’hui. Combinant trivialité et fulgurances poétiques, certitudes et angoisses, invention et réflexion. Un roman à l’image du volcan dont il a opportunément choisi d’emprunter le nom. Une puissante coulée de matériaux hétéroclites, qui au bout du compte, font une œuvre.

« Tambora » d’Hélène Laurain, Editions Verdier, 192 pages, 18,50 €
09/09/2025 – 1758 – W138

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