Dans la très prolifique production d’Hubert Haddad « La Symphonie atlantique » est sans conteste à ranger parmi le tout meilleur. Par sa thématique et sa manière, comme par la richesse et la force de son ancrage culturel. Un jeune Allemand violoniste virtuose y tient une place centrale, alors que son pays, qui a répandu l’horreur dans toute l’Europe, doit maintenant affronter les bombardements massifs des Alliés. La référence paraîtra peut-être abusive, mais dans ce livre résonnent des tonalités qui ne sont pas sans rappeler les sublimes discordances d’Oskar Matzerath dans « Le Tambour », le chef d’œuvre de Günter Grass paru en 1959

Cela commence un hiver dans la cité médiévale de Ratisbonne. Du pont sur le Danube aux forêts environnantes, en passant par les tours de la cathédrale, partout s’y respire un romantisme dont Hubert Haddad restitue les multiples manifestations et les enveloppements au milieu des bourrasques de neige. Une manière d’Allemagne profonde et éternelle surgit ainsi d’une éblouissante succession d’images. ETA Hoffmann et Novalis ne sont pas loin. Jusqu’à ce que se fasse entendre, à la toute fin du chapitre premier, venant déchirer l’envoûtant voile romantique, la voix d’une « Chemise brune avinée chantant heidi, heido, heida, ha, ha, ha » : dans la vieille métropole bavaroise comme dans le reste du pays le nazisme a opéré sa greffe. Dans une vénérable maison bourgeoise, de celle qu’on voit sur les gravures de Matthäus Merian, un jeune garçon vit seul avec sa mère. Il se prénomme Clemens et semble posséder toutes les caractéristique physiques de certains héros des légendes germanique, depuis sa blondeur jusqu’à son profil d’elfe. Il joue dans l’arrangement de Franz Liszt « Die Lorelei », le grand poème de Heinrich Heine, monument de la culture allemande impossible à invisibiliser. Sauf que celui-ci apparaît désormais dans les livres assorti de la mention « unbekannter Dichter » (auteur inconnu). Hubert Haddad, qui cite le poème dans son intégralité, ne cesse ainsi de tisser le lien entre un passé toujours vivace et ses pauvres avatars des années 1930-1940. Clemens ne se sépare jamais de son violon, comme Oskar Matzerath de son tambour. Il en joue pareillement en virtuose. Hubert Haddad brosse son portrait bouleversant, à la façon des grands maîtres du romantisme. « La Symphonie atlantique » se présente d’abord comme un roman d’atmosphère.
Entre roman de formation et roman historique, le livre avance, déployant d’infinies beautés
Bientôt privé de sa fragile mère (« ils prétendent que j’ai besoin de soins » : le régime nazi ne peut laisser à la vue de tous des êtres entièrement requis par leurs tourments intimes), Clemens, tout juste sept ans, échoue finalement dans une institution, le Burg Arduinna, sorte de réplique de « L’Institut Benjamenta » de Robert Walser. Un lieu chargé de mystère, auquel le garçon donne vie par l’entremise de son violon. Un talent qui longtemps lui sert aussi de protection pour échapper à l’enrôlement dans les Jeunesses hitlériennes. L’Allemagne, enfin vaincue et refoulée à l’est, en est maintenant rendue au stade de son histoire, où tout être physiquement apte, quel que soit son âge, va devoir devenir chair à canon. Entre roman de formation et roman historique, le livre avance, déployant d’infinies beautés. On y apprend que le violon avait jadis appartenu à un autre virtuose, le grand-père de Clemens, « gazé à Verdun. » Un canevas narratif serré se laisse apercevoir, auquel le livre doit son exceptionnelle densité. A son tour le jeune garçon doit revêtir l’uniforme de la HJ. On le surnomme « le jeune Siegfried. » Un nouvel institut l’accueille, on y remarque « sa parfaite conformité à la typologie aryenne. » Depuis l’hiver 1942, quelques mois avant le tournant de Stalingrad, l’Allemagne n’était plus territoire inviolé. Chaque nuit elle subissait les raids de la Royal Air Force. Une autre musique faite de stridences, d’explosions et de fracas, symphonie de temps de guerre venue de l’Atlantique.
Le roman pourrait s’arrêter là, dans un épilogue de bruit et de fureur à la hauteur de ces temps tourmentés
2 réponses à “Hubert HADDAD”
Merci pour ce compte rendu qui donne très envie de lire ce livre
Merci