Dès son premier roman « Le ventre de la fée », en 1993, Alice Ferney a pris place au tout premier plan du paysage littéraire. Treize autres livres ont suivi, qui tous ont confirmé la qualité d’une écriture attachée à restituer avec une minutie extrême les démêlements de l’intime. Parmi ceux-ci « La conversation amoureuse » (2000), « Les bourgeois » (2017) et plus récemment le bouleversant «Deux innocents » (2023). « Comme en amour » vient, un quart de siècle plus tard, en écho à « La conversation amoureuse. » Une « conversation amicale » pour Alice Ferney

Une citation de Milan Kundera placée en épigraphe délivre d’entrée de jeu le sens de ce nouveau livre : « L’amitié qui est soumise à un intérêt supérieur à l’amitié n’a rien à faire avec l’amitié. Contrairement à la puérile fidélité à une conviction, la fidélité à un ami est une vertu, peut-être la seule, la dernière. » L’on ne saurait saisir la dimension profonde de « Comme en amour » si l’on ne s’arrêtait pas d’abord à ce propos liminaire. Car ce qui va suivre, ce sont quarante chapitres dont les titres, toujours un bref énoncé à l’infinitif, peuvent être lus à parts égales en manière d’injonctions ou de constats factuels (« Se rencontrer », « Réserver des surprises », « Se retrouver », « Se perdre de vue »…). Ceux-ci se présentent comme une carte du parcours amical. En résonance lointaine avec une certaine carte du tendre de la littérature classique. Sur ce territoire s’avancent donc Marianne et Cyril, qui se sont rencontrés à l’occasion d’une interview. Elle est une créatrice renommée d’accessoires de mode, lui travaille en dilettante. Ce jour-là il est venu faire une pige pour un magazine tendance. Mais entre eux un courant tout de suite est passé, dont le dialogue imaginé par Alice Ferney fait ressentir l’intensité. Tout comme il suggère le paradoxe de leurs situations respectives. Elle mène une existence bourgeoise, avec son époux et leurs trois enfants, dans une maison de la banlieue nord-ouest. Il mène une existence solitaire dans la très huppée rue Bonaparte, sur la rive gauche.
Les probables signaux émis par les corps restent continûment tenus en lisière de ce qui s’apparente fortement à une passion
Une amitié est née. On pourrait même imaginer un peu plus, tant un accord profond paraît immédiatement se faire, non exempt d’une perceptible séduction réciproque. C’est précisément sur la frontière ténue entre retenue et désir, amitié et amour, que commence de se construire la relation. Avec l’infinie délicatesse qui caractérise son écriture, Alice Ferney en pointe la singularité : « Entre eux, la complicité fut immédiate, l’aisance spontanée, l’éclat de rire franc. L’amitié aussi a ses coups de foudre, ses apparitions, ses révélations. » Tout comme elle laisse rapidement entendre les non-dits qui constituent l’autre base de cet accord. Plusieurs mois durant Marianne et Cyril vont vivre dans un permanent échange, fait de rencontres, de longues conversations téléphoniques, de secrets partagés. Un regard extérieur y verrait les pratiques d’un couple amoureux. Sauf que les probables signaux émis par les corps restent continûment tenus en lisière de ce qui s’apparente fortement à une passion. La très séduisante Marianne et le très séducteur Cyril semblent s’être campés sur ce terrain, où l’ambiguïté ne cesse de menacer. Peut-être pour eux une source supplémentaire d’émoi. Pour Alice Ferney une confirmation de la contiguïté de l’amitié et de l’amour. Ce que confirme cette observation qui pourrait s’applique à l’un ou l’autre état : « Chacun devient pour l’autre une habitude, un besoin, la source d’une complicité que l’on attend de plus en plus à force de la trouver. » Et puis la charmante Julia est apparue.
Ce terrain incertain, toujours mouvant quoi qu’on en ait, de l’amitié entre un homme et une femme