TERRITOIRES ROMANESQUES 2023

Jean-François Kierzkowski


Jean-François Kierzkowski

Sous l’apparence d’un récit fantaisiste, dans le sillage d’un écrivain aux allures de Gaston Lagaffe, c’est un certain rapport désengagé au monde qui se donne à voir, en même temps qu’un pan de notre histoire littéraire, pas forcément le plus glorieux

On relèvera d’abord la proximité des identités entre François Korlowski, le narrateur quelque peu naïf, et Jean-François Kierzkowski, l’auteur plutôt roublard d’un livre infiniment plus grave qu’il peut d’abord y paraître. Il n’est pas non plus indifférent que ce dernier se soit d’abord fait connaître comme scénariste de bande dessinée (sept albums entre 2005 et 2016, dont un « En route pour le Goncourt » qui n’est pas sans résonance avec ce « Portait de l’écrivain en chasseur de sanglier »), avant d’entrer dans le paysage romanesque, avec « Après le mur » (2019) et « Deux fois dans le même fleuve » (2022). Un itinéraire qui sans doute explique son sens des images en même temps que la vivacité de son écriture. Et accessoirement permet de comprendre la raison de la référence aux Dupondt de « Tintin » dans la phrase d’incipit, en façon de clin d’œil.

Peu à peu émerge le sujet profond du livre

Dans sa campagne non loin de Saint-Nazaire, qui est aussi la région d’origine de Jean-François Kierzkowski, le personnage de François Korlowski vivote de sa plume. Il laisse à sa compagne Marjorie, fonctionnaire « attachée au patrimoine et au tourisme pour la communauté de communes », le soin d’assurer le gros des revenus de leur couple. Jusqu’à ce que, de défection en défection parmi une centaine d’auteurs pressentis, lui parvienne de son éditeur parisien l’inattendue  proposition de collaborer à un volume collectif, à paraître pour la fin de 2023 et initié par rien de moins que l’Académie française. La Compagnie a en effet pris la décision de rendre un hommage solennel à l’ensemble de ses Grands Prix du roman. Une telle invitation émanant du prestigieux cénacle du Quai de Conti ne se refuse pas. En tout dernier recours, on a donc pensé à lui, sorte de régional de l’étape, pour rédiger la notice consacrée à Alphonse de Châteaubriant, né à Rennes en 1877 et décédé à…Kitzbühel en 1951, prix Goncourt 1911, Grand prix du roman de l’Académie française 1923 pour « La Brière.» A ne pas confondre évidemment avec son homonyme célèbre, le vicomte François-René.  Même s’il ne connaît ni l’auteur ni le roman, qui fut un gros tirage de l’époque, Korlowski, comme dans la fable de La Fontaine, ne se sent pas de joie. Et comme dans la fable est emporté par sa fatuité. Jusqu’au ridicule et à l’aveuglement. Des épisodes loufoques le montrent adoptant la posture avantageuse du grand écrivain distingué par les Immortels. En fait incapable de maîtriser son sujet, accumulant une invraisemblable documentation de bric et de broc, s’enlisant dans des recherches lexicales qui n’intéressent personne d’autre que les locuteurs natifs de la Brière. Se retrouvant conséquemment un jour, en toute naïveté, comme régionaliste en tête d’une manifestation d’indépendantistes bretons d’extrême droite. Un autre jour, en malappris ignorant des usages, semant la pagaïe au salon du livre de La Baule… Et toujours paraissant perdre son temps. Jusqu’à ce que peu à peu émerge le sujet profond du livre. Car Alphonse de Châteaubriant, c’est avant tout la part sombre de la littérature de l’entre-deux-guerres débouchant sur la collaboration.

Un personnage d’écrivain obsédé par le besoin de reconnaissance, mais incapable d’orienter sa pensée et de distinguer l’accessoire de l’essentiel

L’écrivain presque complètement tombé dans l’oubli réapparaît donc ici au fil des recherches brouillonnes de Korlowski, lui-même sans la moindre conscience des enjeux littéraires et politiques autour de celui-ci. L’humour alors se fait grinçant. L’irrésistible naïveté du début, source de nombreux gags, tourne au compagnonnage avec de vielles idées rances. Sans apparaître autrement perturbé, Korlowski relève l’engagement de Châteaubriant dans la mouvance pronazie, avec la fondation en 1940  du journal « La Gerbe » (« cette chouette idée qu’est la collaboration »), puis en 1944 sa fuite à Sigmaringen dans les fourgons du  gouvernement de Vichy : dans un passage « D’un château, l’autre » Céline avait raconté sur le mode mordant sa rencontre dans la cité des bords du Danube avec ce personnage sans envergure. Mais pour Korlowski rien là de bien saillant. Il prend note de tout cela comme il enregistre ce qui se passe au dehors derrière la fenêtre de son bureau : avec la même attention, ou le même détachement. Jean-François Kierzkowski brosse ici le portrait féroce d’un personnage d’écrivain obsédé par le besoin de reconnaissance, mais incapable d’orienter sa pensée et de distinguer l’accessoire de l’essentiel. Quand enfin il parvient à aligner les six mille caractères de l’article commandé, le résultat apparaît exactement à la hauteur de ce que l’on pouvait prévoir : un travail platement scolaire dont la phrase d’ouverture annonce la fadeur, « Roman riche en paysages, aux descriptions précises et au vocabulaire soigné, La Brière dépeint la vie d’un marais, de sa tourbe, ses pâtis et ses landèches. » Un épilogue en lequel se résume le manque de vision, véritable pendant du manque de conscience, dans ce roman à la réjouissante dimension critique.  

« Portrait de l’écrivain en chasseur de Sanglier », de Jean-François Kierzkowski, Mialet-Barrault, 240 pages, 19 €
02/03/2023 – 1648 – W29

2 réponses à “Jean-François Kierzkowski”

  1. Magnifique papier cher Jean-Claude Lebrun qui nous manque tant dans la presse mais qui reste heureusement présent via son merveilleux blog!

    • Merci, chère Betty Mialet, vous savez combien j’aurais aimé continuer dans la presse. Mais le blog me permet de toucher un autre public, déjà plus large que les lecteurs que celui du journal.