TERRITOIRES ROMANESQUES 2023

Alain Giorgetti


Alain Giorgetti

Après un premier roman remarqué, en 2019, suivi d’un court récit, le troisième livre de l’écrivain strasbourgeois confirme la singularité de son inspiration et la force de son écriture. Cela se passe cette fois au plus profond d’une vallée vosgienne, dans une manière de huis clos aux conséquences forcément dramatiques. Un récit étouffant que strient des fulgurances poétiques et des visions picturales

L’écrivain propose aujourd’hui un long et intriguant monologue, dont le dernier chapitre intitulé « vingt-cinq ans auparavant » apporte une partie des clefs en même temps qu’il ouvre sur de nouvelles interrogations. Celui qui raconte, un artiste-peintre quinquagénaire prénommé Nicolas, évoque en effet deux faits majeurs de son existence séparés par un quart de siècle, tandis qu’il purge une longue peine de prison. A chaque fois il y avait eu des morts. Dans l’ordre chronologique  celle d’un…cerf  mortellement blessé par un puissant véhicule, un jour de pluie de janvier 1985, sur une route en direction de  Thionville. Nicolas était alors étudiant aux Arts décoratifs, comme chaque  dimanche soir, à bord de la R12 familiale, son père le conduisait à la gare pour le train de 18h50, quand la voiture qui les précédait à près de cent à l’heure, une Alfa Roméo GTV rouge, « avait percuté un gros truc. » Puis deux décennies et demie plus tard la mort par homicide de trois douteux personnages, qui faisaient régner la terreur dans un coin reculé des Vosges. Avec le recul du temps, il est maintenant emprisonné depuis cinq ans, le narrateur établit en effet un lien, d’ordre social et psychanalytique, entre les deux scènes. L’argent et la protection de la nature y sont à chaque fois en jeu. Le triple meurtre pourrait alors être lu comme une lointaine réponse à l’atteinte à la vie du cervidé, véritable scène primitive du roman.

Le texte d’Alain Giorgetti se construit sur tout un réseau d’échos et de résonances

Celui-ci commence par un tabassage, auquel vient de réchapper Hélène, la femme aimée par le narrateur. A la manœuvre les frères Kocher, trois brutes dont la famille depuis des lustres règne sur la vallée de Fouzay. Il la sillonnent inlassablement à bord de leur vieille Jeep « rouge, crade, maculée de rayures et de boue », des fusils de chasse toujours dans le coffre. Le rouge encore, couleur du sang mais aussi de la révolte. Le texte d’Alain Giorgetti se construit sur tout un réseau d’échos et de résonances. Ce que le narrateur identifie comme « une lave de sang » se déversant en lui. Hélène, descendante des Jaeggy, une vieille famille d’aristocrates, s’opposait à la mainmise tyrannique, aux trafics restés impunis des Kocher et plus récemment à leur grand projet de transformation de la vallée en un espace touristique de luxe. Budget prévu, 250 millions d’euros. Ils avaient racheté les terrains nécessaires à leur opération. Mais Hélène, propriétaire d’un chalet, leur résistait encore. On imagine la suite. Le très contemplatif  Nicolas embarqué dans l’affaire  allait bientôt commettre l’irréparable. Telles apparaissent, dans leur banalité, les circonstances du roman.

Il y a ici quelque chose de magnifique et de terrifiant, renouant avec l’idée antique du fatum

Sauf qu’Alain Giorgetti y met la manière, métamorphosant cette histoire si contemporaine d’accaparement et de résistance en récit épique du combat du beau contre le laid, de la poésie contre la vulgarité, de la nature contre l’argent et la prédation de celle-ci  Nicolas y tient le rôle du héros se sacrifiant pour des valeurs dépassant sa personne. Véritable romantique du 21ème siècle, jamais à court d’images enflammées, de jaillissements lyriques. Il n’avait jamais pu réaliser le portrait qu’Hélène lui réclamait, faute de temps sans doute, requis par son combat également, mais tout autant porté par une exigence trop haute. Car cette littérature s’essaie à dire l’absolu. Il y a ici quelque chose de magnifique et de terrifiant, renouant avec l’idée antique du fatum. Non plus dans un monde écrasé de lumière, mais sous les sombres frondaisons du massif vosgien.

« Massif », d’Alain Giorgetti, Alma Editeur, 160 pages, 17 €
30/03/2023 – 1652 – W33

2 réponses à “Alain Giorgetti”