Alain Giorgetti
Après un premier roman remarqué, en 2019, suivi d’un court récit, le troisième livre de l’écrivain strasbourgeois confirme la singularité de son inspiration et la force de son écriture. Cela se passe cette fois au plus profond d’une vallée vosgienne, dans une manière de huis clos aux conséquences forcément dramatiques. Un récit étouffant que strient des fulgurances poétiques et des visions picturales
L’écrivain propose aujourd’hui un long et intriguant monologue, dont le dernier chapitre intitulé « vingt-cinq ans auparavant » apporte une partie des clefs en même temps qu’il ouvre sur de nouvelles interrogations. Celui qui raconte, un artiste-peintre quinquagénaire prénommé Nicolas, évoque en effet deux faits majeurs de son existence séparés par un quart de siècle, tandis qu’il purge une longue peine de prison. A chaque fois il y avait eu des morts. Dans l’ordre chronologique celle d’un…cerf mortellement blessé par un puissant véhicule, un jour de pluie de janvier 1985, sur une route en direction de Thionville. Nicolas était alors étudiant aux Arts décoratifs, comme chaque dimanche soir, à bord de la R12 familiale, son père le conduisait à la gare pour le train de 18h50, quand la voiture qui les précédait à près de cent à l’heure, une Alfa Roméo GTV rouge, « avait percuté un gros truc. » Puis deux décennies et demie plus tard la mort par homicide de trois douteux personnages, qui faisaient régner la terreur dans un coin reculé des Vosges. Avec le recul du temps, il est maintenant emprisonné depuis cinq ans, le narrateur établit en effet un lien, d’ordre social et psychanalytique, entre les deux scènes. L’argent et la protection de la nature y sont à chaque fois en jeu. Le triple meurtre pourrait alors être lu comme une lointaine réponse à l’atteinte à la vie du cervidé, véritable scène primitive du roman.
Le texte d’Alain Giorgetti se construit sur tout un réseau d’échos et de résonances
Celui-ci commence par un tabassage, auquel vient de réchapper Hélène, la femme aimée par le narrateur. A la manœuvre les frères Kocher, trois brutes dont la famille depuis des lustres règne sur la vallée de Fouzay. Il la sillonnent inlassablement à bord de leur vieille Jeep « rouge, crade, maculée de rayures et de boue », des fusils de chasse toujours dans le coffre. Le rouge encore, couleur du sang mais aussi de la révolte. Le texte d’Alain Giorgetti se construit sur tout un réseau d’échos et de résonances. Ce que le narrateur identifie comme « une lave de sang » se déversant en lui. Hélène, descendante des Jaeggy, une vieille famille d’aristocrates, s’opposait à la mainmise tyrannique, aux trafics restés impunis des Kocher et plus récemment à leur grand projet de transformation de la vallée en un espace touristique de luxe. Budget prévu, 250 millions d’euros. Ils avaient racheté les terrains nécessaires à leur opération. Mais Hélène, propriétaire d’un chalet, leur résistait encore. On imagine la suite. Le très contemplatif Nicolas embarqué dans l’affaire allait bientôt commettre l’irréparable. Telles apparaissent, dans leur banalité, les circonstances du roman.
Il y a ici quelque chose de magnifique et de terrifiant, renouant avec l’idée antique du fatum
2 réponses à “Alain Giorgetti”
Quelle intensité ! Très envie de découvrir… merci
Je te renercie, chère Catherine