Seize ans après la disparition de Julien Gracq, en 2007, José Corti, son éditeur de toujours, nous donne à lire un nouvel inédit de 27 pages autorisé à la publication en attendant 2027 et la levée du black-out décidé par l’écrivain sur de nombreux autres textes
Ce qui se joue sous nos yeux, c’est un saisissant retour, telle une plongée qui donne à voir les strates d’un travail. Les historiens de la littérature pourraient tout aussi bien y distinguer une manière d’archéologie de l’écriture gracquienne. Comme si sept décennies de création se trouvaient ici synthétisées. Si ces pages furent manifestement rédigées pendant l’Occupation, ou peu de temps après, elles se présentent pour le lecteur d’aujourd’hui comme une préfiguration des deux pôles de l’œuvre. En ouverture Julien Gracq évoque ce temps « qui était celui de l’occupation allemande » et qui le voyait régulièrement prendre le car de V… à A…, de Varades, à proximité de Saint-Florent-le-Vieil où il résidait, jusqu’à Angers, où il enseigna durant l’année scolaire 1941-1942. De ce bref récit d’un voyage bihebdomadaire et de l’image obsédante d’une maison aperçue depuis la route et déclencheuse d’imaginations, Julien Gracq a produit deux états successifs pareillement inachevés, dont l’éditeur propose la reproduction sous la forme d’une numérisation des textes autographes. On y reconnaît l’écriture fine, nette et impeccablement calibrée de l’écrivain, mais l’on y observe surtout son travail de nettoyage et d’éclaircissement entre l’un et l’autre texte. Une entrée dans l’atelier, face à laquelle celui-ci exprima cependant toujours sa réticence : « Je n’aime pas montrer mes manuscrits. »
L’on ne peut alors s’empêcher de se rappeler, telle une constante chez Gracq, des évocations d’autres construction
Il est donc question d’une maison, « construction inattendue (…) à un tournant de la route», située à une douzaine de kilomètres d’Angers. L’on ne peut alors s’empêcher de se rappeler, telle une constante chez Gracq, des évocations d’autres constructions, dont les « Carnets du grand chemin » (1992) proposaient une foule de variations : maisons de la Sologne, de la Franche-Comté, du pays de Bade, ou encore pavillons de briques de la banlieue pauvre de Londres s’apparentant à une « lèpre urbaine informe »… Leurs visions déclenchaient infailliblement une réflexion sur leur allure et sur l’histoire longue qui s’y trouvait reflétée. La villa « de prétentieuse et médiocre apparence » aperçue depuis le car renvoie ainsi pour lui à l’architecture des constructions du bord de mer « sur les plages de second ordre » au début du 20ème siècle. Au fil de ses trajets Julien Gracq observe la maison sous tous les angles possibles, puis un jour descend du car pour enfin s’en approcher, dans une démarche que l’on pourrait comparer au grossissement progressif d’un zoom. Il se rend finalement compte que la maison est habitée, en entendant chanter une voix de femme. Alors commence un travail d’imagination en lequel se reconnaît l’influence du romantisme. Nerval et « Les Filles du feu » ne sont pas loin, jusque dans la suggestion érotique. Les dernières lignes du texte s’attachent à l’apparition sur le balcon de la maison de deux pieds nus, puis « plus nue encore et plus secrète que les pieds nus, la masse ondée, prodigieuse, fabuleuse, déployée comme une draperie, d’une longue chevelure blonde, la chevelure défaite d’une femme. »
Une manière de matrice de l’œuvre à venir
2 réponses à “Julien Gracq”
Comme c’est joliment bien dit « l’apparition des petits pieds nus »; l’imaginaire est déjà en mouvement.
Merci Virginie, Gracq propose souvent des images qui disent en même temps le réel et ce que celui-ci met en mouvement d’imaginaire.