Pour qui douterait de la pertinence et de l’efficience des ateliers d’écriture, il suffirait de prendre connaissance de ce remarquable petit livre pour s’en convaincre. C’est à l’été 2016 que sa future autrice fut orientée vers un atelier d’écriture en ligne sur le thème de la ville. Son initiateur n’était autre que François Bon, l’un des pionniers en la matière, de la même façon qu’il l’est dans l’appréhension de la littérature par les nouvelles technologies. Il s’agissait certes de raconter, mais plus encore peut-être, annonçait-il, de « faire toucher à la matérialité de l’écriture. » « Ecrire la ville » se présentait ainsi comme un projet ambitieux, dont allait résulter ce premier livre, délicat et prenant, de la psychanalyste née à Bruxelles en 1961.
Deux ans plus tard, dans sa livraison de l’été 2018, la revue numérique « Le Tiers livre », fondée en 1997 par le même François Bon, sous la rubrique « construire une ville avec des mots » faisait paraître 44 « propositions », concrètement de petits blocs de texte, signées Fabienne Verstraeten. Le noyau du futur livre se laissait déjà entrevoir. Tout partirait d’une photo en noir et blanc prise en 1945. Ce jour-là, la Belgique faisait des funérailles nationales à cinq hommes fusillés par l’occupant nazi le 13 janvier 1943. Deux ans après leur exécution, le pays pouvait enfin leur rendre hommage. Parmi les cinq cercueils se trouvait celui d’Aloïs V., le grand-père paternel de l’autrice, résistant de l’ombre qui s’était retrouvé embarqué dans un groupe d’otages. Sur la photo de la cérémonie, conservée dans les papiers familiaux, l’on pouvait voir en première ligne un tout jeune homme d’à peine vingt ans, affichant sur son visage une tristesse dont il ne se départirait plus guère durant les sept décennies qu’allait durer le reste de sa vie : il s’agissait d’André, le père de Fabienne Verstraeten. C’est à partir de cette photo, puis d’autres clichés conservées dans un album, que celle-ci allait composer son propre roman familial, « reconstitution de souvenirs et de bouts d’enquête (…) invention et fiction (…) par petites touches et fragments. »
Concevoir quelque chose comme un projet romanesque
La cérémonie se déroule donc « un jour gris d’hiver » à Jette, la commune de la région bruxelloise où s’enracine l’histoire de la famille. A travers l’allure des personnages de la photo et les éléments du décor, la foule présente, la place pavée où une estrade a été dressée, les cercueils entourés du drapeau belge, le grand dais, les gerbes de fleurs, les lampadaires recouverts d’un drap noir, ou encore un austère bâtiment officiel à l’arrière-plan, c’est le monde sombre de l’immédiat après-guerre, présentant « les signes d’une lassitude, d’un abandon », qui se donne à voir. « Ecrire la ville », c’est donc ici tout ensemble faire parler la photo qui en représente une partie, s’attacher aussi à restituer une histoire, en remplir les blancs d’hypothèses vraisemblables et resserrer la focale sur ce père et ce fils otages de l’Histoire, au sens propre pour le premier, figuré pour le second. En somme concevoir quelque chose comme un projet romanesque. Sans oublier jamais que, précise d’entrée de jeu Fabienne Verstraeten, « l’image du jeune homme triste a toujours été pour [elle] le moment clé, l’origine noire de [son] histoire. » Sans doute parce que cette photo entrerait bien plus tard, dans la première décennie des années 2000, en résonance avec la vision d’un corps qui s’était écrasé dans la cour d’une maison de retraite à Jette. Son père, ravagé par le grand âge et toujours habité par la mort de son propre père, avait choisi de se défenestrer.
Un moment fort de littérature, dans son travail de reconstruction et de démêlement de l’histoire des Verstraeten
2 réponses à “Fabienne Verstraeten”
Courage d Affronter un tel
Sujet … offrir au lecteur une telle densité ..
Bonjour Catherine, c’est un sujet difficile, mais traité avec énormément de sensibilité et de talent
Amitiés