Son premier roman, « Voyage sur la ligne d’horizon », remonte à 1988. L’on n’imaginait pas que l’écrivain discret en soit déjà à son dix-neuvième livre, romans et essais confondus. « Liverpool marée haute », « Mille six-cents ventres », « Les indiens », « La fin des paysages » ou encore « Mother » : tous ces textes ont laissé des traces si profondes qu’on avait oublié les avoir lus il y a plus de dix ans, entre 1991 et 2012. La vivacité du souvenir agit en l’espèce comme une véritable démonstration de la force de cette œuvre
Cette fois Luc Lang semble de prime abord avoir resserré la focale, en comparaison avec les textes précédents qui brassaient une matière riche et variée. Le titre se présente telle la visible illustration de ce mouvement. Il est ici question de judo et d’arts martiaux. Toute une nomenclature déclinée au fil du récit le confirme à satiété, certes un peu ardue pour le profane qui n’a pas fréquenté les dojos. Mais il faut aller au-delà des apparences. Car cette narration à la première personne, où l’écrivain ne se dissimule à aucun moment derrière un personnage de fiction, est aussi et peut-être d’abord une autobiographie. Une façon de dire par l’entremise de la terminologie du combat ce qui tout du long n’a cessé de guider la vie de l’auteur : rigueur, discipline, travail, cités par lui dans cet ordre. Depuis l’enfance jusqu’à la paternité. Au début sous la houlette de sa mère et du beau-père qui l’avait adopté. Puis en disciple d’un maître qu’il s’était choisi. Le parcours de Luc Lang s’affiche clairement en proximité avec la culture initiatique extrême-orientale. Le drill japonais en permanent arrière-plan. Ce « récit du combat » relève donc, à bien des égards, de la grande tradition européenne du roman de formation.
L’art de la chute, en lequel il faut évidemment voir une métaphore de l’affrontement avec les embûches de la vie en un temps difficile
L’écrivain s’y représente à des âges successifs de son existence, depuis l’émouvante scène d’ouverture d’une beauté hiératique, à l’été 1962 sur une plage corse, à l’âge de six ans, entre mère et beau-père, pour lui « une véritable scène de mythologie grecque », jusqu’au temps présent avec ses quatre enfants, leur transmettant à son tour le savoir acquis au fil des décennies. Avec ce premier apprentissage, exercice indispensable à toute avancée ultérieure : l’art de la chute, en lequel il faut évidemment voir une métaphore de l’affrontement avec les embûches de la vie en un temps difficile. A la fois geste salvateur et philosophie. Le combat, au sens propre et au sens figuré, tel que Luc Lang en file l’évocation dans ce livre à la fois limpide et profond. Il en avait donc tôt reçu l’initiation du côté maternel et beau-paternel. Andrée et Robert, devenu son père adoptif, dont on avait fait la bouleversante rencontre en 2012 dans « Mother. » Cette mère, aux tendances profondément castratrices, et ce beau-père, sorte de bon géant protecteur, ouvrier et judoka. Pour le jeune Luc puis l’adulte un modèle d’équilibre. Bien dans son corps comme dans sa classe sociale : « Cet homme qui allait me protéger enfant et qui serait ma muraille et ma force, a construit une vraie ligne d’horizon pour moi. » La dimension politique, proche ou plus estompée, affiche toujours sa présence dans les romans de Luc Lang. Car Robert, c’est l’exact opposé d’une force aveugle et destructrice, telle que celle-ci se manifeste de plus en plus aujourd’hui.
On pense à l’écriture et la pensée nietzschéennes
Une réponse à “Luc Lang”
Luc Lang, que nous avons eu le plaisir d’accueillir avec toi (et grâce à toi), au Mai du Livre à Tarbes en 2014, est pour moi l’un des plus grands écrivains contemporains. Je n’oublierai jamais le choc de lecture du roman « Au commencement du septième jour », 2016,après ses autres romans (« 11 septembre mon amour », 2003, « Mother », 2012, « La fin des paysages », 2006 qui reprenait la trame de « Liverpool, marée haute », 1991, pour la recréer). Ni le choc de lecture de son essai « Délit de fiction, la littérature, pourquoi ? », 2011. J’ai le bonheur de bientôt me mettre à lire « Le récit du combat ». Je savoure cette attente, je tourne le livre entre mes mains, quand je le lirai, il me requerra tout entière. Merci Jean-Claude.