Né en 1982, Christopher Bouix s’est d’abord illustré comme auteur de livres pour la jeunesse sous le pseudonyme de Nataël Trapp. En 2023 il avait fait paraître « Alfie », son premier roman adulte dans lequel une intelligence artificielle tenait le rôle central. Avec « Tout est sous contrôle », très talentueuse dystopie, il continue de labourer le champ d’un futur certes inquiétant, mais qui laisse des espaces de résistance à qui le veut bien
Il met aujourd’hui en scène onze personnages qui tissent ensemble une manière de tapisserie d’un temps à venir, l’an 2084. Ces figures ne cessent de se croiser au fil de chapitres brefs et nerveux, d’une écriture tendue, qui d’abord proposent une représentation de l’époque non encore advenue, puis se transmuent en un haletant thriller. Cette société à venir est en effet soumise au règne d’une évaluation générale. Chacun se voit doté d’un « indice de bonheur personnel » aussi déterminant pour son existence que ne le sont aujourd’hui l’origine sociale ou le niveau d’études : seuls les indices supérieurs à 8/10 peuvent prétendre accéder aux meilleures situations. L’obtention de cette note élevée est liée à la fréquentation quotidienne des réseaux sociaux, à la variété des affichages et à l’attractivité des vidéos mises en ligne. Christopher Bouix ne fait en l’espèce qu’extrapoler un mouvement déjà largement amorcé dans les années vingt du XXIème siècle : le décompte des « followers » en tous genres n’y tient-il pas déjà lieu de mesure de l’influence sociale ? Certes tout cela ne s’affiche plus sur des écrans, disparus depuis belle lurette, mais est directement visible par l’entremise de lentilles greffées sur la cornée. En lieu et place du double clic il suffit d’un double clignement de l’œil. Mais par-delà ses innovations purement technologiques ce temps est surtout celui de considérables bouleversements sociétaux. Là-derrière se profile, on l’aura évidemment compris, le « 1984 » d’Orwell.
Peu à peu Christopher Bouix élabore un tableau fourmillant de références renvoyant à ce qui travaille notre présent
L’un des principaux personnages, une certaine Sibylle, travaille ainsi à l’ « Office des quotas de naissance et de la surpopulation. » Non seulement il ne fait pas de doute que le malthusianisme a désormais triomphé, mais il se double maintenant d’un eugénisme décomplexé, sans compter un retour au modèle hétérosexuel : seuls sont habilités à la conception d’un enfant les couples notés 9/10, à raison d’un maximum de douze gestations annuelles pour l’ensemble de la population de chaque quartier haut de gamme. Autant dire que la compétition est serrée et la sélection impitoyable. Néo et Juliette, habitants du quartier n°2, pas loin du sommet de la hiérarchie, se présentent comme de sérieux postulants face à une petite dizaine d’autres couples. A l’Office, c’est donc Sibylle qui reçoit les candidats à la procréation. Pour ceux-ci, oubliées « les dérives de la première moitié du siècle […] Toutes ces interrogations sur le genre, sur la non-binarité » : le Gouvernement avait depuis longtemps fait marche arrière. Peu à peu Christopher Bouix élabore un tableau fourmillant de références renvoyant à ce qui travaille notre présent. Ne rendant pas forcément désirable ce qui s’est imposé dans le monde de 2084, à la fois hyper-connecté et commandé par une pensée d’un conservatisme assumé. La satire touche continûment juste, non sans une bonne dose d’humour.
La jubilatoire satire sociale cède alors le pas à un impitoyable thriller
2 réponses à “Christopher BOUIX”
Le titre, a lui seul, fait frissonner – le scénario noir écrit au jour le jour, ce « meilleur des mondes » de cauchemar – Merci Jean Claude – à bientot
Bonjour Catherine, C’est à la fois glaçant et drôle…