Alice Ferney
Un grand roman de notre temps de soupçon généralisé. Ou comment deux personnages simplement humains se trouvent cloués au pilori par les sectateurs d’un nouvel ordre moral niant la possibilité comme la pureté des sentiments
Le souvenir est encore vif, de son inoubliable premier roman « Le Ventre de la fée » (1993). Trente ans et douze titres plus loin, un regard rétrospectif permet de mesurer la richesse, l’audace et la complexité de cette œuvre, centrée sur deux thèmes essentiels, la différence des sexes et les enjeux de l’Histoire. Qui s’est construite à l’écart des modes et du prêt-à-penser. N’hésitant pas à s’aventurer sur les terrains les plus épineux. Comme par exemple, dans « Passé sous silence » (2010), les motivations diverses du fourvoiement de certains militaires dans l’aventure factieuse de l’OAS. A chaque fois sans autres limites que sa rigueur et son honnêteté intellectuelle. A n’en pas douter la littérature d’Alice Ferney est l’une de celles qui témoignent avec une précision rare des maux qui ne cessent de travailler en profondeur notre société. Ainsi que des dérives qui peuvent en résulter.
On se rappelle l’homonyme féminin dont l’histoire tragique, pareillement dans un contexte scolaire, défraya la chronique en 1968
Dans « Deux innocents », elle en propose la plus récente illustration. Le récit s’amorce en effet à la rentrée scolaire de 2018, dans une institution privée, « l’Embellie », qui accueille des jeunes en grande difficulté pour les préparer à la vie active. Psychologiquement et intellectuellement hors d’état de suivre un cursus classique, ces filles et ces garçons « malchanceux de toutes les loteries, qu’elles soient géographiques, sociales, génétiques » ont besoin d’un enseignement adapté à leur sensibilité comme à leur intelligence du monde alentour, Dans « une banlieue autrefois ouvrière devenue résidentielle » l’établissement accueille une trentaine de jeunes entre quatorze et vingt ans. Claire Bodin est l’une de leurs enseignantes. Cette quinquagénaire catholique, de convictions fortement traditionnalistes, a été embauchée sans contrat ni droits sociaux. Rien de choquant ni même d’anormal pour elle : l’enseignement n’est pas affaire de statut, mais seulement de cœur, d’écoute et de don de soi. D’innocence pourrait-on dire. Jusqu’à ce que Gabriel Noblet arrive dans sa classe. Le prénom du jeune homme d’entrée de jeu interpelle : on se rappelle forcément l’homonyme féminin dont l’histoire tragique, pareillement dans un contexte scolaire, défraya la chronique en 1968. Il se produit ici quelque chose d’assez semblable. Alice Ferney, avec infiniment de tact, raconte en effet l’histoire d’une enseignante naïve, démonstrative et tactile, et d’un garçon en demande d’affection. Marquée d’abord par les progrès spectaculaires de Gabriel, qui sort de sa timidité, de son mutisme et de son refus de communiquer. Mais qui ensuite vire au cauchemar pour l’un et l’autre, sous l’impulsion conjuguée de la mère de l’élève et de la directrice de l’établissement. Alliée pour la circonstance contre l’enseignante, trop atypique pour n’être pas soupçonnée du pire.
La romancière pousse la logique du soupçon jusque dans ses conséquences ultimes
2 réponses à “Alice Ferney”
À nouveau … grand merci 🙏
Un très beau livre, chère Catherine…