Si ce nouveau texte est présenté sous l’appellation générique de « roman », il ne fait guère de doute que c’est pour son ancrage explicite dans le roman familial de l’auteur. On se souvient que dans un livre précédent paru en 2018, « Dix-sept ans », Eric Fottorino révélait la venue au monde, trois ans après la sienne, d’une petite sœur aussitôt enlevée à sa mère et depuis lors disparue. De cette cadette tardivement surgie dans sa vie, l’écrivain savait seulement qu’elle avait été littéralement kidnappée par une institution religieuse bordelaise puis confiée à une famille d’adoption, dont on ignorait tout
Si l’affaire le touchait évidemment de près, il lui fallait en savoir un peu plus. Peut-être l’existence de cette petite sœur tôt évanouie expliquait-elle certaines des bizarreries qu’il n’avait cessé de relever au fil des années dans le comportement de sa mère ? Celle-ci avait tout juste dix-sept ans, lorsqu’elle l’avait mis au monde en 1960. Et donc à peine vingt ans en janvier 1963, quand, pas encore majeure et non mariée, elle avait cependant décidé d’accoucher d’un deuxième enfant. De surcroît d’un père différent du premier. Inutile de rappeler le contexte rigoriste de l’époque, pour se représenter la difficulté dans laquelle elle avait pu se retrouver. Ou plus exactement dans laquelle s’était vue celle qui portait alors la responsabilité de la famille : sa propre mère, descendante « d’une noblesse déchue » qui entretenait le souvenir d’« une grandeur d’autrefois. » Pour effacer cette nouvelle tache sur l’honneur familial, celle-ci avait sollicité les services d’une institution religieuse qui « curetait les ventres éventrait les âmes. » C’est d’abord une plongée sans ménagement dans cette époque dure aux femmes qu’effectue Eric Fottorino. Avec d’autant plus de force et de crudité qu’il a fait le choix d’une forme radicale. Non pas la prose linéaire d’un récit traditionnel, avec ses connecteurs et ses chevilles, mais le staccato d’un vers libre, nerveux, sans ponctuation. A l’exemple de Baudelaire dans « Les Fleurs du mal. » Le titre du roman, « Mon Enfant, ma sœur », se présente précisément comme un emprunt au poème « L’Invitation au voyage », dans lequel celui qui écrit imagine un lieu idéal où vivre avec sa bien-aimée. Eric Fottorino en a placé les six premiers vers en épigraphe, concluant ici par le célèbre « là, tout n’est qu’ordre et beauté luxe, calme et volupté. » Tout l’inverse de ce qui s’est donc joué pour sa mère, sa sœur et lui.
La déréliction, compagne pour sa mère et lui de toutes ces années, se mue en un regain d’espérance
Dans ce superbe et déchirant poème en prose, il restitue les étapes, mélange d’intuitions et de hasards, de ce qui s’apparente à une véritable enquête sur sa sœur disparue, dont lui-même à l’origine n’était pas du tout certain qu’elle fût encore de ce monde. Si la tonalité de fond du texte reste élégiaque, quand le frère aîné s’adresse à une petite sœur peut-être à jamais disparue, lui invente une existence et imagine à quoi aurait pu ressembler un vécu commun, on le voit en même temps mener un travail de recherche de plus en plus actif. Conforté en cela par une lente succession de découvertes. La déréliction, compagne pour sa mère et lui de toutes ces années, se mue en un regain d’espérance. Par prudence, il attendra cependant d’avoir accès à de solides certitudes avant de mettre celle-ci au courant de ses avancées. Il ne faut pas d’y tromper : Eric Fottorino, en même temps qu’il met au jour cette page douloureuse du roman familial, propose par touches subtiles la restitution des ombres et des abîmes d’une époque, qu’on a aujourd’hui tendance à désigner sous l’appellation nostalgique de « trente glorieuses. » Poursuivant avec une belle obstination une recherche de sa propre identité initiée dès 1991 avec « Rochelle », son premier roman.
Une histoire d’une totale singularité, mais tellement représentative d’une époque
2 réponses à “Eric Fottorino”
.. ces turbulences qui mènent a l écriture … mot à mot reprendre souffle, reprendre vie.. lire comme on respire, merci Jean claude
C’est exactement ça, chère Catherine. Ce texte m’a bouleversé.