TERRITOIRES ROMANESQUES 2023

Jean-Marie Rouart


En 2012 paraissait « Napoléon ou la destinée », dans lequel l’académicien brossait le saisissant portrait d’un être « souvent au bord du gouffre. » Pour cela il s’attachait à quarante-sept dates, qui avaient constitué autant de périlleux  tournants sur la trajectoire de Napoléon Bonaparte. De  nombreux autres livres témoignent pareillement de son intérêt passionné pour un temps et pour un homme qui n’ont en fait jamais cessé de l’inspirer

Voici donc aujourd’hui cette « Maîtresse italienne », une certaine comtesse Miniaci, qui nous vaut ce roman alliant finesse et élégance. Jean-Marie Rouart n’apparaît en effet jamais autant à son aise que dans l’entrelacs des intrications entre la petite et la grande histoire, champ idéal pour l’invention romanesque. A l’encontre de ce que pourrait laisser imaginer le titre du livre, la séduisante jeune Florentine dont il est ici question ne fut pas la maîtresse de l’Empereur, mais celle du colonel Neil Campbell, l’officier britannique chargé de  surveiller le « grand proscrit » lors de sa relégation sur l’île d’Elbe, de mars 1814 à février 1815, avant que celui-ci ne s’en évade pour entamer l’épopée des Cent Jours. Le fameux « Vol de l’aigle », marche triomphale de Golfe-Juan à Paris, dont la littérature s’est largement emparée, depuis Victor Hugo et Alexandre Dumas jusqu’à Jean Anouilh et Aragon. Pour sa part, Jean-Marie Rouart a choisi de situer son récit juste avant et d’évoquer la gestation de l’opération d’apparence insensée qui sidèrera l’Europe. L’empereur déchu, contraint par les Alliés à l’exil, avait choisi Elbe, la grande île de l’archipel toscan, où on lui avait laissé toute latitude d’exercer son pouvoir. Celui qui avait suscité l’admiration de Goethe et Hegel se retrouvait ainsi à régner sur un bout de terre particulièrement rustique, sans commune mesure avec les vastes espaces de ses conquêtes. Sauf que par sa seule présence il faisait entrer l’île d’Elbe dans l’Histoire  « un si grand homme dans une si petite île. »

Une manière de condensé, dans un espace réduit, sur un temps court, de ce qu’il avait initié pour la France

Très précisément documenté, Jean-Marie Rouart restitue les trois cents jours du premier exil napoléonien. A la façon du proscrit, en cartographe de l’île, il dresse des plans, lève des croquis, étalonne, mesure. L’obstiné administrateur a en effet entrepris de réformer l’organisation de l’ile dont il est devenu le monarque. A cette petite échelle, depuis son  modeste domaine des Mulini, il s’essaie à reproduire ce qu’il avait lancé depuis le palais des Tuileries. Une manière de condensé, dans un espace réduit, sur un temps court, de ce qu’il avait initié pour la France. Aux yeux de Neil Campbell, un évident assagissement, des prétentions revues à la baisse. « C’est la réédition de l’Empire en modèle réduit, une experte miniaturisation d’un système de gouvernement passé de cent millions de sujets à dix mille îliens, d’une Grande Armée de huit cent mille hommes à une garde prétorienne de moins de deux-mille soldats », note malicieusement Jean-Marie Rouart. Et puis l’île est surveillée de près par une foule d’agents des Alliés, tandis qu’à Vienne on tient congrès -des pages admirables avec Talleyrand et Metternich en vedettes en font le récit- pour décider du sort définitif de l’exilé, qui fait encore peur, et redessiner la carte de l’Europe après deux décennies et demie de turbulences. Tout cela qui autorise Campbell à certaines absences, pour se rendre quelques jours par mois du côté de Florence, ou de Livourne et Lucques plus proches de l’île d’Elbe, pour y retrouver l’attirante comtesse dont il est épris. Jean-Marie Rouart fait ici venir au premier plan un personnage bien réel autour duquel ont flotté de nombreuses zones d’ombre. Du pain béni pour un romancier.

Dans cette inattendue version de l’exil et du début des Cent Jours Jean-Marie Rouart déploie tout son savoir-faire romanesque

Le 26 février 1815 le « grand proscrit », qui en adepte de l’effet de surprise avait endormi tout son monde, embarquait sans coup férir à bord du brick « L’Inconstant », le 1er mars il débarquait à Golfe-Juan. On connaît la suite. Dans cette inattendue version de l’exil et du début des Cent Jours Jean-Marie Rouart déploie tout son savoir-faire romanesque. Le romantisme comme l’humour de son écriture et sa constante élégance inscrivent cette « Maîtresse italienne » dans le tout meilleur de sa littérature, du côté du « Cavalier blessé » (1987) ou du « Goût du malheur » (1993). Après s’être immergé dans son propre roman familial avec l’émouvant « Entre père et fils » (Gallimard, 2023), le voici donc revenu à l’Histoire. Son grand terrain d’élection, assurément.

« La Maîtresse italienne », de Jean-Marie Rouart, Gallimard, 176 pages, 19 €

18/01/2024 – 1686 – W67


Une réponse à “Jean-Marie Rouart”

  1. Je profite de ce début d’année pour vous présenter mes voeux et vous remercier. Vos chroniques comptent parmi les petits délices de mon existence. C’est toujours un bonheur de vous lire. A chaque réception d’un message m’avertissant d’une nouvelle publication, je me réjouis. Merci, merci donc du fond du coeur.
    Marie-Laure

    PS : je viens de terminer le dernier Besson, bouleversant !