Le délicat premier roman de Philippe Bonilo s’ouvre sur une citation de Jean Giono placée en épigraphe. Façon sans doute d’inscrire ce court texte dans le lignage d’une littérature solidement enracinée dans un terroir et un temps, sans pour autant relever de quelque régionalisme
Cela faisait dans les trente ans que le narrateur avait quitté la petite cité bressane où ses parents tenaient un café-épicerie et assuraient également une tournée de vente ambulante dans les villages des environs. Lui-même avait entretemps parcouru le monde. Un jour, alors qu’il séjournait dans un petit port normand qu’il affectionnait (« la mer m’y semble plus belle qu’ailleurs »), son attention avait été attirée par une petite fille de huit-neuf ans dont l’air particulièrement concentré et les arabesques (« se mouvant dans une histoire qui n’appartenait qu’à elle »), avaient fait resurgir en lui une image familière de son enfance. Sans doute aussi parce que l’ambiance d’une mi-journée silencieuse et ensoleillée, que Philippe Bonilo restitue à la façon sépia d’une ancienne carte postale, avait contribué à cette remontée du souvenir. Cela ne se passait pas au bord de la mer, mais « dans des champs, sur des chemins de terre, dans les hautes herbes, sous d’autres nuages. » Ces lieux familiers de la Bourgogne bressane qu’il découvrait sous un jour nouveau, quand son cousin Pierre et leur amie Pauline venaient y passer les grandes vacances. Dès l’entame, son récit se nimbe d’une tonalité élégiaque qui lui donne sa subtile couleur de fond, elle-même en harmonie avec la sensation qu’il éprouve d’un « paradis perdu. » L’occasion s’était bientôt présentée d’y revenir.
Philippe Bonilo restitue à merveille les changements inconscients d’échelle qui accompagnent les différentes étapes d’une vie
Il lui avait fallu d’abord constater combien un léger écart s’était creusé entre ses souvenirs et la réalité : arrivant dans le pays de sa jeunesse et s’attendant à découvrir « au sortir d’un bois, entre un virage et le bas d’un coteau » la maison de son enfance, il était passé devant celle-ci sans la voir. Comme si, entre le temps du souvenir et le temps présent, un imperceptible bougé s’était opéré. Lorsqu’il vit en effet sa maison, ce fut dans le rétroviseur de sa voiture, tel le frappant symbole de ce décalage. A cette première surprise s’en ajouta bientôt une seconde, d’une nature assez proche : un changement de proportions. Car le territoire de son enfance paraissait avoir rapetissé. Ce qui lui avait semblé représenter des distances considérables se parcourait maintenant en peu de temps : « l’enfance est un tout petit royaume. Un homme le parcourt en quelques enjambées. » Philippe Bonilo restitue à merveille les changements inconscients d’échelle qui accompagnent les différentes étapes d’une vie. Rares sont les écrivains qui peuvent rendre cette réalité aussi tangible. De la même façon les adultes ont perdu leur grande taille et le langage son évidence première, pour se mettre à foisonner. Quand il entendait l’instituteur ou la grand-mère de Pauline, tous deux pourtant de la région mais tellement éloignés du parler local, il ne savait pas encore qu’ils annonçaient cette complexité à venir, véritable sortie de ce qui constitue une préexistence.
Comme si se transmettaient de génération en génération les mêmes visions propres à l’enfance