Dans la matinée du vendredi 12 août 2022, à Chautauqua dans l’état de New York, non loin de la ville de Buffalo et des chutes du Niagara, Salman Rushdie tenait dans un amphithéâtre une conférence publique. Celle-ci avait pour sujet l’asile qu’il convenait d’accorder à des écrivains en danger dans leur propre pays et les conditions de leur indispensable sécurité. Il était dix heures quarante-cinq, lorsqu’il vit un homme se diriger vers la scène sur laquelle il avait commencé de prendre la parole
Ainsi débute le chapitre d’ouverture de la première partie du livre intitulée « L’Ange de la Mort. » Celui qui s’apprêtait à jouer le funeste rôle grossissait dans le champ de vision de l’écrivain, sans qu’il y eût encore pour celui-ci motif à inquiétude. C’était un homme d’allure jeune qu’il vit bientôt sauter sur la scène. On connaît la suite : les nombreux coups de couteau pendant vingt-sept secondes d’horreur, le bras gauche sévèrement touché, le cou, la poitrine, l’œil droit atteint en profondeur, l’évanouissement (« Je sens que mes jambes me lâchent et je m’écroule ») et l’évacuation par hélicoptère en urgence absolue. L’écrivain avait alors soixante-quinze ans. Depuis 1989 il vivait sous la menace d’une fatwa iranienne prononcée par l’ayatollah Khomeini, suite à la publication un an plus tôt des « Versets sataniques.» « Le Couteau » restitue dans toute leur intensité dramatique ces secondes, durant lesquelles il fut à deux doigts de mourir. Mais le propos s’élargit rapidement à une plus vaste thématique. Rushdie y fait retour sur son passé, sa jeunesse, le basculement de 1989 qui fit de lui un proscrit dans une partie du monde, puis l’exil, la soixantaine de changements de domicile, l’installation dans une semi-clandestinité à Londres, les six tentatives d’assassinat, avant qu’en 2000 il rejoigne finalement les Etats-Unis et prenne la nationalité américaine. Et les quinze livres, le travail d’écriture jamais interrompu, les réserves de certains, les polémiques, sa rencontre avec celle devenue son épouse en 2021, la poétesse Rachel Eliza Griffiths de 31ans sa cadette, enfin son combat de plusieurs mois pour surmonter les séquelles de la nouvelle épreuve, recouvrer l’usage de son bras, vivre avec un œil en moins. Par delà la minutieuse et bouleversante restitution du drame qui faillit lui coûter la vie, « Le Couteau se présente comme un grand texte autobiographique. En 2012, avec « Joseph Anton », Salman Rushdie avait certes déjà commencé d’aborder ce terrain, mais c’est aujourd’hui la première fois qu’il choisit de s’exprimer directement à la première personne du singulier. Sans le moindre filtre ni la moindre instance tierce.
Dans ces textes de dimension socratique, l’ironie le dispute à la rigoureuse logique dialectique
Il évoque l’homme jeune qui tenta de mettre fin à ses jours sans avoir jamais lu une ligne de ses textes. L’obscurantisme se nourrit de l’ignorance. A cet assaillant décidé à le tuer il décide de ne donner aucun nom. Il le désignera sous l’initiale de « A », façon de le nommer tel l’instrument d’une force aveugle. Celui-ci avait été ceinturé et arrêté dans sa tentative d’assassinat par des auditeurs. Il avait été incarcéré, il y aurait un procès auquel Salman Rushdie n’envisageait pas d’assister. Dans une séquence de plusieurs pages, qui est aussi l’un des sommets du livre, il imagine donc une succession de dialogues, des « sessions », avec ce personnage curieusement aveuglé par la haine, fanatique islamiste né en Amérique. Alors même que rien dans sa vie ne paraissait pouvoir la justifier, il n’avait « exprimé aucun remords. ». Dans ces textes de dimension socratique, l’ironie le dispute à la rigoureuse logique dialectique, Salman Rushdie tourne et retourne la pauvre défense du tueur. Un régal d’intelligence. Jusqu’à ce que ce dernier lâche la raison profonde de sa haine : « Seule la soumission permet d’atteindre la liberté. » Il avait subséquemment confié à d’autres le soin de diriger sa pensée.
Le témoignage d’un écrivain resté ferme sur ses positions, sur ses convictions, son engagement de toujours du côté des Lumières
5 réponses à “Salman Rushdie”
[…] Le Couteau de Salman Rushdie, traduit de l’anglais par Gérard Meudal, Gallimard.Retrouvez le blog de Jean-Claude Lebrun ici. […]
Un grand merci !
Merci beaucoup.
Amitiés
On savait déjà que la politique etait la continuation de la religion par d’ autres moyens( Marx in » La questiin juive » où il ecrit que » l’ etat chrétien parfait c’ est l’ etat démocratique » ,parce que,selon lui la politique ( ciel)est au capitalisme,ce qur la religion ( ciel) est à l’ Ancien régime.
Mais on voit aujiurd’ hui que la religion est aussi, dans certaines conditions,la continuation de la politique par d’ anciens nouveaux moyens.
Parce qu’ on retient souvent que Marx a écrit que la » la religion est l’ opium du peuple » ,en oubliant que dans la phrase qui précède, il ecrit qu’ elle est » Le coeur d’ un monde sans coeur et l’ esprit d’ un monde sans esprit ».
Freud dit la même chose en d’ autres termes.
Et Einstein aussi.
Marx,Freud,Einstein,prophètes scientifiques des Temps Contemporains.
Monothéismes scientifiques( lutte des classes,Oedipe,relativite) trois formules pour nous réfléchir en unité,en communauté.
Einstein ,espace- temps égale temps- histoire( Mzrx) plus espace humain- oedioien( Freud).
GIL BEN AYCH.
Cher Gil Ben Aych,
Voici votre réflexion après remise en forme. Un très grand merci !
On savait déjà que la politique était la continuation de la religion par d’autres moyens ( Marx in » La question juive » , où il écrit que » l’ état chrétien parfait c’est l’ état démocratique » , parce que selon lui la politique (ciel) est au capitalisme ce que la religion (ciel) est à l’ Ancien régime.
Mais on voit aujourd’hui que la religion est aussi, dans certaines conditions, la continuation de la politique par d’ anciens nouveaux moyens.
Parce qu’on retient souvent que Marx a écrit que la » la religion est l’opium du peuple », en oubliant que dans la phrase qui précède, il écrit qu’ elle est » le coeur d’ un monde sans coeur et l’ esprit d’ un monde sans esprit ».
Freud dit la même chose en d’autres termes.
Et Einstein aussi.
Marx, Freud, Einstein, prophètes scientifiques des Temps Contemporains.
Monothéismes scientifiques (lutte des classes, Oedipe, relativité) : trois formules pour nous réfléchir en unité ,en communauté.
Einstein, espace-temps égale temps-histoire( Marx) plus espace humain- oedipien ( Freud).