Il serait dommageable de passer à côté de « L’Appelé », court texte en vers libres et premier roman du comédien et cinéaste Guillaume Viry, qui dit de saisissante façon les traumas engendrés par la guerre d’Algérie. Le lisant, impossible de ne pas penser aux « Nouvelles de la zone interdite » de Daniel Zimmermann (1988), à « Des hommes » de Laurent Mauvignier (2009), ou encore à « Où j’ai laissé mon âme » de Jérôme Ferrari (2010). Rares sont en effet les livres depuis six décennies, qui s’aventurent sur l’épineux terrain du prix fort à payer par les combattants de l’armée coloniale. Daniel Zimmermann en sut quelque chose, qui trente ans après les faits fut cité en correctionnelle pour « injures à l’armée »
« L’Appelé » s’ouvre dans la nuit du samedi 28 mars 1970 (ce qu’énonce ainsi l’auteur : « C’est un samedi du mois de mars 1970 / le vingt-huitième jour »). Louis, le père, transporte dans sa DS une boîte en carton contenant les papiers de Jean, le fils, décédé exactement un an auparavant des suites d’une séance d’électrochocs. Il avait trente ans. Depuis 1964 et une tentative de suicide par pendaison, à la demande de son père il était interné à l’hôpital psychiatrique de Saint-Dizier, Haute Marne. « Jean ne s’est pas tué / c’est compliqué », répète en boucle le père. Cette nuit-là celui-ci s’apprête à brûler dans un bois proche, propriété de la famille, les papiers de Jean et le reste de ses affaires, « parce que ça suffit les histoires / toutes celles qui tournaient dans la tête de Jean. » Le mort, jeune appelé du contingent, avait passé trois mois en Algérie, du 21 décembre 1960 au 17 mars 1961. Puis était revenu en métropole, rapatriement sanitaire. Il en avait trop vu pour garder son équilibre et ne pas craquer. Il voulait devenir dessinateur industriel, désormais il n’aurait plus l’esprit occupé que des horreurs auxquelles il avait dû prêter la main. Guillaume Viry, dans son texte en forme à la fois de déploration et d’acte d’accusation, une écriture elliptique qui ne cesse d’interpeller, restitue donc les histoires tourmentées de Jean et de Louis. Celles aussi de Joseph, frère de Jean, qui ne parlait jamais de celui-ci (« Joseph a vécu en tentant de faire barrage »), et de Julien, fils de Joseph, à qui il échoit désormais de faire resurgir ce pan refoulé de la mémoire familiale : Julien n’avait jusqu’alors jamais entendu parler de cet oncle. On pense, par une immédiate association d’idées, à un autre Joseph, dans « Les champs d’honneur », le Goncourt 1990 de Jean Rouaud, dont la mort avait réveillé le souvenir enfoui d’un homonyme de la famille disparu en 1915, pendant la Première guerre mondiale. Comme si les deux textes, par-delà les années, entraient en résonance.
Un véritable travail de raccommodage, pour combler les trous de la mémoire
2 réponses à “Guillaume VIRY”
Merci pour cet article sensible et juste . Ce roman poème fait partie de la présélection du 38 e festival
De Chambéry et pas plus tard qu’avant hier lors de notre premier rencontre « apéro littéraire » les voix s’unissaient pour dire combien ce texte
Était nécessaire aussi bien pour l’auteur que pour le lecteur .
Bien à vous Dominique
Je suis ravi de savoir que « L’Appelé » à retenu l’attention des lecteurs toujours sagaces de Chambéry. C’est un livre qui appelle plusieurs lectures, tant il regorge de richesses.
Bien à vous
Jean-Claude